Kaléidoscope de musées et monuments de par le monde, entre muséologie comparée et tourisme iconographique.

dimanche 27 mai 2012

Eglise Notre-Dame-des-Anges, Pondichéry, Inde




Aussi appelée « Pink Church » en raison de sa peinture extérieure rose et blanche, Notre-Dame des Anges, bâtie entre 1851 et 1855 par Louis Guerre, siège au cœur du quartier français de Pondichéry, en face de la place Jeanne d’Arc.

 
A l’entrée, sur le portail, un panneau signale la présence de la VMF, Vieilles Maisons Françaises, une association française de sauvegarde du patrimoine, que je suis ravie de retrouver si loin de la métropole. L’apparence très neuve de la peinture suggère une église peinte et repeinte ; un choix amusant s’il est fait sous le regard d’une association impliquant une certaine idée de la conservation-restauration. Apparemment, l’aspect particulièrement brillant et lisse de cette façade est due à la recette employée, un mélange de coquille d’œuf et de plâtre. 
Renseignements pris, Les Amis du Patrimoine Pondichérien, association locale de sauvegarde et mise en valeur du patrimoine, ont entrepris sa restauration de septembre 2009 à mars 2011, et VMF ont subventionné une partie des travaux.

En entrant, on découvre un espace très frais en contraste de l’extérieur ensoleillé et écrasé de chaleur, aux teintes pastels, bleues, roses, jaunes, sorte de relecture indienne des couleurs du rococo allemand. 

 
















Les fenêtres ouvertes laissent circuler l’air et entrevoir les branches des frangipaniers en fleurs et le linge qui sèche dans le jardin de l’église. Je soupçonne ce dernier d’être habité, comme la plupart des bouts de jardin présents en ville. Les fenêtres ouvertes laissent aussi entrer les corbeaux, qui discutent dans l’église, l’un sur un ventilateur, l’autre sur une fenêtre, un troisième sur l’autel.

L’église présente un plan en croix latine ce qu’il y a de plus classique, une voûte à caissons en encorbellement, et un dôme surmontant la croisée du transept. Dans ce dernier, de belles stalles en bois. On peut admirer également le sol en marbre de l’église, qui forme un grand échiquier, et peut-être l’élément le plus sobre dans l’édifice.

L’évidence même en se promenant dans cette église, mais c’est en fait le cas dans la plupart des édifices religieux dans ce pays, c’est à quel point la foi est vivante. Les statues sont toutes parées et entourées d’offrandes ; pendant notre balade, un couple d’indiens est venu faire des dévotions devant chaque statue, sur laquelle ils frottaient une enveloppe scellée de résultats médicaux, pour la bénir avant de l’ouvrir. Les ventilateurs et les haut-parleurs confirment la fréquentation de l’église. En me documentant, je découvre un joli fait ; c’est la seule église de la ville où la messe est célébrée, tous les dimanches, en trois langues : tamoul, anglais et français.
 Copie de la Vierge de Velankanni, idole adorée dans le village du même nom, déclaré ville sainte par le Vatican, et très important sanctuaire marial. Cette Notre-Dame est adorée tant par les chrétiens que les hindous et les musulmans. 

Instant de couleurs dans le transept de l'église ; le soleil y joue une grande importance, puisqu'un de ses premiers rayons frappe l'autel chaque matin pour la première messe.

La force de la pratique religieuse et de la foi en Inde posent d’importantes questions aux acteurs de la conservation. A partir de quel moment un objet patrimonial doit-il sortir du culte pour favoriser sa conservation au nom de la perpétuation de la mémoire ? Le priver de sa fonction est-il le bon choix ? Est-il possible de concilier sauvegarde du patrimoine et liturgie vivante ?
Il est surement possible de réfléchir à des moyens de faire cohabiter ces deux valeurs au sein d’un même espace, si tant est qu’existe une volonté locale d’y réfléchir, et de mettre en place des aménagements dans ce but.
Dans ce cas précis, c’est surement la vie du bâtiment, et la continuité d’une tradition religieuse forte, qui ont permis d’intéresser les gens au sort de l’église et de motiver les restaurations.



Liens utiles :
Site des Amis du Patrimoine Pondichérien, avec le détail des restaurations de l'église

vendredi 25 mai 2012

Trésor de la cathédrale, Lyon, France

Ce mini-musée, géré par le Centre des Monuments Nationaux, consiste en une grande salle (peut-être dans les 80 mètres carrés), à belles poutres apparentes, connue sous le nom de "manécanterie" (équivalent de la maîtrise), avec tapisseries sur la moitié de ses murs, vitrines sur l’autre moitié.
Un bureau sert d’accueil, avec deux personnes. L'entrée est gratuite, et se fait par la nef de la cathédrale, à droite quand on entre.

Vue depuis la droite de l'entrée

Les collections exposées, issues du trésor de la cathédrale, sont essentiellement dues aux cardinaux Fesch et  Louis de Bonald. Elles regroupent des objets du IXe au XIXe siècle, dont des tapisseries d'Aubusson, des émaux limousins, des objets liturgiques, ou encore des ivoires byzantins.

Vue depuis le fond de la salle

Une belle série de tapisseries flamandes du XVIIe siècle retrace l’histoire de Jacob. Il y a peu d’explications iconographiques, mais l’installation est correcte, et des petits panneaux expliquent pourquoi ne pas toucher les œuvres. La communication sur la conservation simple et efficace. On les trouve notamment sur de belles chaises XVIIIe (vivent les soyeux de Lyon !). Des sièges sont disponibles pour admirer les tapisseries en toute tranquillité.

 Détail d'une des tapisseries d'Aubusson, que je trouvais particulièrement moderne ; mon mari me signale que la tapisserie est l'ancêtre du pixel art.

Au milieu de la salle, une table-vitrine explique la technique de la broderie en relief et au fil d’or. La prochaine vitrine expose de magnifiques chasubles et étoles illustrant cette technique, assez impressionnante. Les tissus sont exposés sur des mannequins de présentation spécifiques, à la bonne taille, avec une bonne répartition des poids.


L'ensemble est petit mais agréable. Par contre, il y fait très chaud. Du moment qu’il n’y a pas trop de variations de température tout va bien pour les œuvres, mais quand on arrive de la cathédrale, il y a un choc thermique au moins pour le visiteurs. Je ne crois pas que ce soit des vitrines climatiques ; ceci dit, l’ensemble est neuf et moderne, le mobilier d’exposition approprié. Par exemple, de beaux chapiteaux VIe siècle, de l’ancienne cathédrale, sont exposés sur des socles dont la forme évoque une colonne, peints en imitation marbre, mais légère. D’aucuns trouveraient surement ça trop chargés, personnellement je trouve le choix élégant. L’évocation architecturale est là sans en faire trop.


Quant aux vitrines exposant ce qu’on appelle trésor à proprement parler, on trouve de belles pièces liturgiques d’orfèvrerie, du coffret en ivoire byzantin à l’ostensoir doré XIXe, rivalisant de prouesses techniques. Quelques beaux émaux limousins, notamment une belle crosse d’évêque, un très bel autel portatif en améthyste serti fin XVe (ci-dessus). Au mur, quelques portraits XVIIIe de religieux, d’une facture modeste mais agréable à l’œil.


"Icône de style byzantin", années 1870, huile sur bois. 
Le cadre a quelque chose de légèrement steampunk qui m'a plu. 

L'exposition est sympathique, bien agencée, et d'autant plus appréciable que les Trésors ne sont que trop rarement accessibles.

Liens utiles :
Curiosités autour de la cathédrale Saint-Jean, parmi lesquelles le vol du Trésor de la Cathédrale

mercredi 23 mai 2012

Sri Chitra Enclave, Thiruvananthapuram, Inde


L’accès à ce petit pavillon, à l’est du parc, est compris dans le billet d’entrée au Napier Museum. On paie cependant une roupie par paire de chaussures laissée devant le pavillon puisqu’il se visite pieds nus. 

Cette enclave modeste, baigné d’une lumière dorée, et qui doit mesurer dans les 80m2, est dédié à la mémoire du dernier héritier de la famille royale de Travancore, Chithira Thirunal Balarama Varma (1912-1991). Centré sur ce dernier, il évoque également l'histoire de la famille royale qui régna sur le Kérala. Dans l’ensemble, ces souverains ont entretenu ces derniers siècles une tradition de mécénat des arts, de l’éducation, et autres chantiers sociaux qui ont permis au Kérala d’être un des états les plus avancés de l’Inde actuelle (avec quand même son lot de soucis, ce n’est pas non plus idyllique, mais par exemple le taux d'alphabétisation le plus élevé d'Inde). Leur popularité auprès de leurs sujets a atteint un tel point qu’après l’indépendance, le premier gouverneur élu du Kérala n’est autre que… l’héritier de la famille royale. 

Vue du pavillon - on aperçoit par la porte le carrosse cité ci-dessous.

L’exposition consiste, sur les murs, en de grandes peintures naïves datées de 2006, dans un style qui se veut inspiré de la peinture murale traditionnelle kéralaise, légendées de textes bilingues tamoul-anglais. Chaque panneau représente une grande étape de l’histoire de l’état, comme l’arrivée des Portugais, les batailles contre les Hollandais, ou des moments plus intimes de la famille royale.
Au centre de la salle, des vitrines exposent des objets personnels de Sri Chitra, formant un ensemble assez touchant ; vêtements, lunettes, canne, pour le coté plus cérémoniel, mais aussi des croquis au fusain, ou encore un joli livre de contes anglais dont il a colorié les gravures.
Au fond, imposant en contraste avec les petits objets des vitrines, ou le coté « neuf » des peintures murales, est exposé un magnifique carrosse XIXe, doré et mouluré, prévu pour être tiré par six chevaux blancs, pour les parades du maharaja.

L’ensemble, empreint d’un kitsch tout à fait couleur locale, est très didactique, et assez intéressant, pour peu qu’on s’intéresse à l’histoire de la ville et de l’état, et que l’on ait le courage de tout lire.

Liens utiles :
Page d'informations des musées et zoo de Thiruvananthapuram, sur le site officiel du gouvernement kéralais

Napier Museum, Thiruvananthapuram, Inde


Thiruvananthapuram, aussi connue sous son nom colonial de Trivandrum, est la capitale du Kérala, dans le Sud-Ouest de l’Inde. Au nord de la ville, un joli parc abrite un grand jardin zoologique, un musée d’art et ses annexes, et un musée d’histoire naturelle. Les installations et initiatives culturelles sont importantes dans cette ville et dans cet état, qu'elles soient à l'initiative de la famille royale, ou de riches mécènes. Aujourd'hui, intéressons nous au musée d'art de la ville :

Le Napier Museum 

5 roupies par personne, photographie interdite, on entre avec les chaussures (c'est loin d'être toujours le cas en Inde).

Source : Wikimedia Commons

Rien que le bâtiment vaut le coup de se déplacer dans ce musée. Le musée lui-même est fondé en 1855 ; le bâtiment est détruit dans les années 1870 et remplacé par l'actuel édifice. Bâti en 1874 par Robert Chisholm dans un style indo-kéralais, caractérisé par de grands pavillons en bois et chaux, et mâtiné d’historicisme européen, il a donc été conçu pour son rôle de musée.
Au sommet de la colline centrale du parc, il domine l’ensemble de Museum Road, non sans rappeler le coté « temple des arts » des musées européens du XIXe siècle.
Il propose un grand espace muséographique, de plain pied, avec un grand hall, et deux larges couloirs latéraux qui mènent à deux ailes de chaque coté du pavillon central. Des tribunes courent à mi-hauteur des murs, comme des mezzanines, qui semblent abriter les bureaux de la conservation, des bibliothèques, et des objets. Les plafonds en bois peints sont superbes.



Les portes et les fenêtres ouvertes laissent circuler l’air chargé de la mousson, et entrer la lumière du soleil, bien qu’elle ne soit pas forcément dirigée vers les objets, dont les vitrines sont plutôt tournées vers l’intérieur du musée. L’éclairage effectif est assumé par des spots relativement neufs. Des ventilateurs opèrent une ventilation active, bien que comme dans la majorité des musées visités en Inde, la plupart soit extrêmement vétuste, ou plus simplement éteinte ou cassée.
Le mobilier n’est pas de première jeunesse, mais en bon état. Les vitrines sont toutes identiques, en bois et verre, donc pas toujours adaptées à leurs expôts ; c’est ainsi qu’on trouve de tous petits objets, type trois petits bronzes de 10 cm de haut, exposés dans une immense vitrine, assez grande pour accueillir un Nataraja de 1m20 de large. Le fond des vitrines, sur lequel sont posées les œuvres, est pourvu de petits trous réguliers, offrant une aération. Il n’y a aucune trace de contrôle atmosphérique dans les vitrines.
Au centre du hall d’entrée, une grande vitrine, abritant l’épée de Velu Thampi Dhalouva, reproduit le mandapa (pavillon) du temple de Thirunandikkara. La présentation est atypique, et impressionnante. Ce meuble, à la destination première d’être lui-même un expôt, connaît ainsi un recyclage intéressant. Sous l’épée, un gros bécher de gel de silice. C’est la première fois que l’on croise un effort de régulation de l’humidité depuis que l’on parcourt les musées indiens.
Derrière les vitrines, donc en grande partie cachés, les murs supportent des moulages de frises des grands temples de l’Inde du Sud. Je suppose que c’est un reste de la première décoration du musée. Moins poétiques mais plus rassurants, on aperçoit aussi des extincteurs derrières les vitrines, ces dernières étant d’ailleurs fermées à clef. Le minimum de sécurité est donc assuré. De nombreux panneaux « Do not touch » émaillent le musée, mais ne sont absolument pas respectés par les visiteurs, ce qui ne semble pas troubler les gardiens outre mesure.

Les collections sont très éclectiques.

Dans le premier espace, le hall, sont répartis autour de la vitrine-mandapa des bronzes kéralais (et quelques-uns en provenance du Tamil Nadu), du VIIIe au XIXe siècle, représentant les divinités du Panthéon hindou. Les représentations de Siva, surtout en Nataraja, dominent. Les cartels sont bilingues, en tamoul et anglais, et relativement complets : nom, date, lieu, et numéro d’inventaire. Certains vieux cartels sont faits à la main, au correcteur blanc, sur des plaquettes de bois. Aucune médiation n’est cependant proposée, et la plupart des iconographies complexes de l’art hindou restent hermétiques au profane.
Dans cette première section, on retient une très belle statuette de Gajathandava, du XVIIIe siècle, représentant une déesse dansante, le pied sur une tête d’éléphant. Elle se trouve en face de l’entrée, à gauche de la porte donnant sur le jardin.

Aucune indication de parcours n’est donnée, mais nous décidons d’explorer le musée vers la gauche (quand on entre dans le musée). Ce choix s’est avéré logique par la suite, puisque cette aile propose des collections indiennes, en continuité du hall, quand la seconde aile abrite des collections d’Asie du Sud-Est.

Dans le couloir, on trouve les collections d’objets en bois du musée, soient des figures sacrées, du mobilier, et de belles maquettes de temples d’Inde du Sud. L’ensemble est assez didactique, et on sent encore transparaître l’influence du musée XIXe sous la disposition des lieux.
Dans cette seconde section, on note un magnifique Vaisselier royal, au décor baroque assez délirant, ainsi qu’un Char de procession du XVIIe siècle, ancêtre des chars encore en usage aujourd’hui pour les fêtes hindoues, à la masse impressionnante.

L’aile Est, organisée autour du Char cité ci-dessus, abrite de petits objets, là encore perdus dans de grandes vitrines : des ivoires sculptés, classés par iconographie, soit hindoue, soit chrétienne, des statuettes de personnage du Kathakali, le théâtre classique kéralais, du matériel liturgique en bronze. Dans un coin, presque planqués, trois gros fauteuils désignés comme des « Royal chairs ». Certaines vitrines ont le fond cloqué par l’humidité.
Un bon tiers de l’aile est encombré par des vitrines vides, tassées les unes contre les autres. J’en conclus à l’absence de réserves, ou au moins de place pour le matériel non utilisé ; cette hypothèse est confirmée par une série de grosses céramiques chinoises, à vue de nez Qing, qui traînent un peu partout dans le musée, comme cale-portes, barrières devant les escaliers menant aux mezzanines, ou dispositifs de mise à distance.
Dans cette troisième partie du musée, on a beaucoup aimé la délicatesse des statuettes en ivoire, dont une Saraswathi et une Lakshmi, très fines, presque filigranées.

Intéressons nous maintenant à la deuxième aile du musée.

Le couloir qui y mène contient les collections lapidaires du musée, classées en rang d’oignon entre les statues hindoues et les statues bouddhiques. Il y a notamment de belles statues du Gandhara, du début de notre ère, mais dans l’ensemble, ces collections ne sont pas en très bon état.
Passé le lapidaire, la seconde partie du couloir et l’aile Ouest offrent des collections que j’ai envie de qualifier d’ « ethnographiques ». Classées géographiquement, elles proviennent de Java, Bali, Ceylan, ou encore Bornéo. La disposition des vitrines fait penser à l’étalage des résultats d’une mission d’exploration dans les contrées d’Asie du Sud-Est.
On y admire des céramiques et de l’orfèvrerie chinoise, une grande collection de personnages de théâtre d’ombre javanais. Cette dernière ne sera surement plus là dans quelques années, si elle demeure ensevelie sous la poussière, et en pleine lumière. Certaines pièces ont commencé à se déliter. Ces marionnettes sont constituées de bandelettes de papier peintes et perforées, reliées par des attaches métalliques, et actionnées par des bâtons de corne. Les parties métalliques ne peuvent que s’oxyder étant donnée l’humidité du milieu, et rongent le papier, qui finit par casser.
Une très belle collections de masques de théâtre balinais nous observe du mur d’en face. Les objets en plumasserie, en papier, et autres pigments naturels semblent beaucoup souffrir des conditions d’exposition, et sont peu mises en valeur. Dans certaines vitrines, la lumière est même en panne ; on préfère penser aux avantages que cela a sur leur conservation qu’aux inconvénients pour leur présentation. Parmi les dégradations observées, on note des dentelles indonésiennes clouées aux parois des vitrines, avec des clous de tapisserie rouillés.
Enfin, la visite se conclue sur trois vitrines d’instruments de musique, dont un violon qui semble un peu anachronique au milieu des sitars et des tablas. Au centre de la salle, une vitrine-table de numismatique (mon expérience indienne est peut-être encore un peu jeune pour que ce soit une certitude, mais la numismatique semble être plutôt en vogue auprès du public indien). On apprécie l’effort de présentation, puisque les plus petites pièces (entre 8 et 20mm de diamètre) sont présentées avec leurs agrandissements photographiques, qui, s’ils datent sûrement des années 50, ont le mérite d’exister.


            En somme, un musée au cadre magnifique, contenant de très belles collections, mais figé dans le temps, avec un fort besoin de révision des conditions de présentation des œuvres. Malgré de grosses lacunes dans la communication ou la conservation, on retient beaucoup de charme, et une désuétude finalement touchante.

jeudi 10 mai 2012

Musée Goya, Castres, France



Ouvrons le bal avec un joli musée français, le Musée d'Art Hispanique de Castres, aussi appelé Musée Goya. Il est d'ailleurs plus juste de le désigner sous cette première appellation, puisqu'il abrite la deuxième collection d'art espagnol en France, après le Musée du Louvre. Ce deuxième titre, par contre, peut confondre l'amoureux de Goya, convaincu de se lancer dans une exposition quasi-monographique, où il ne verra en fait que trois œuvres du maître.



Le musée est installé dans un ancien palais épiscopal, bâti au XVIIe siècle sur des plans de Jules-Hardouin Mansart, qui dessina également les jardins à la française attenants. Le bâtiment est beau et bien mis en valeur. A l'intérieur, il offre notamment de belles fresques et de beaux plafonds.


On accède au musée par un grand escalier en pierre. Je m'étonne d'y trouver des mégots de cigarette ; cela pourrait témoigner d'un problème d'entretien du musée. En sortant du musée, en fin d'après-midi, je croise un groupe de jeunes installés dans l'escalier du musée ; je tiens mon explication quant aux mégots. Si le seuil du musée est un lieu de réunion, peut-on espérer que le musée devienne un créateur de lien social ? 

En haut de l'escalier, on découvre tout de suite à droite l'espace d'exposition temporaire. Il faut se diriger à gauche pour trouver l'espace d'accueil, la billetterie, et la librairie (quelques livres disposés sur une belle table en marbre du Minervois), pour accéder aux collections permanentes et temporaires. La billetterie est installée dans un joli guichet en boiserie XIXe, et l'accueil est fort sympathique. 
Avant de commencer la visite, un des membres du personnel qui traîne par là, qui nous précise qu’il n’est pas guide sans préciser son poste, nous propose un petit topo : historique du musée, disposition des salles, œuvres majeures. On nous informe que les gravures de Goya ne sont pas visibles en ce moment, car il y a un roulement pour la conservation. On ne peut qu'applaudir à cette initiative ; sauf que sur la billetterie, une note expliquait que ces mêmes œuvres étaient en restauration. Bon, ils n'ont pas accordé leurs violons, mais il est certain qu'on s'occupe de ces gravures, et j'apprécie l'effort de communication ; on trouve si souvent des vitrines vides sans savoir où sont passées les œuvres, ou si peu d'explication quant aux choix de conservation-restauration.

Dans cette première salle, en plus des espaces d'accueil, sont installées quelques œuvres relatives à la création du musée. S'il est fondé en 1840, il connaît un réel développement, et acquiert sa vocation hispanique, avec le legs de l'artiste Marcel Briguiboul en 1894. Sont donc exposées ici un Autoportrait de ce dernier, quelques sculptures de sa main (des petits marbres historicistes). L'ambiance "Salon XIXe" est complétée par la présence de quelques arts décoratifs (mobilier, lampes). 

Autoportrait au haut de forme et à la pipe, Marcel Briguiboul, 1861
(source : Wikimedia Commons)

 Je comprends moins bien la présence, sur le mur le plus long de la salle, des frises de Velez Blanco, représentant Les triomphes des César, vers 1505-1520. Ces bas-reliefs sont une relecture Renaissance des épopées sculptées romaines du type de la Colonne Trajanne. Très simplement installés sur des gradins blancs, ils ne sont protégés par aucun dispositif de mise à distance. Je m'étonne à la fois de leur présence, qui donne un petit coté bric-à-brac à la pièce, et des conditions d'exposition. Après visite du musée, je me rends compte qu'il n'y a pas vraiment d'autre endroit où les exposer que ce soit en terme d'espace ou de cohérence.

Première salle : Antiquités ibériques et Primitifs espagnols. De très beaux tableaux, qui semblent avoir eu droit à une restauration de qualité.

Le mobilier muséographique semble arriver des années 60-70, mais est en bon état, et remplit bien son office. On observe dans la salle des déshumidificateurs ; ils ne sont pas réglés de manière centrale mais ponctuelle. L’éclairage n’est pas évident, comme dans toute exposition de peintures. Les cartels sont soit absents, soit pas évidents par rapport à l’œuvre, en tout cas dans cette salle.Aucune source de lumière naturelle directe (des stores par exemple bouchent les fenêtres) ne vient toucher les expôts. 

Deuxième salle : Mobilier et peinture XVIe siècle.
Sous les fenêtres sont encore présentes des vieilles armoires, très belles, surmontées de vitrine-tables dans lesquelles sont disposées quelques œuvres à plat. Est-ce par manque de place, ou de mobilier adapté, ou par réel choix ? Peut-il s'agir d'un choix de conservation ? On trouve dans l’une des deux, une nature morte XIXe, La côtelette, un petit Géricault, Une écurie et un masque espagnol XVIe en bois (dépôt de Cluny). 

De là, on descend dans la troisième salle :
Tout au fond, on aperçoit le plus grand des trois Goya, L'assemblée de la compagnie royale des Philippines
(source : Wikimédia Commons)

 Troisième salle : Salle du Siècle d'Or. 
Cette galerie propose des œuvres du XVIIe siècle espagnol, peintures et sculptures. 
On y est d'abord accueillis par une vitrine technique sur la peinture et la composition, avec un fac-similé du traité de Pacheco. C'est un choix judicieux ; il arrive d'entendre dans les expositions de peinture des gens s'interroger sur les techniques, ou d'autres ne pas se rendre compte de la complexité de la chose. Tout comme j'apprécie la communication sur la conservation ou la restauration des œuvres, je trouve trop rare la communication sur la technique.
Dans certaines salles, dont celle-ci, je remarque des caméras de sécurité. En plus de renforcer la sécurité des œuvres en général, elles permettent de n’avoir aucun gardien, ce qui peut être agréable lors de la visite. Chers gardiens, je n'ai rien contre vous, mais certaines visites peuvent être gâchées par la mauvaise humeur de vos collègues les moins sympathiques. Deuxième condition remplie pour une visite agréable (serais-je misanthrope ?) : il y a peu de visiteurs. 
Je n’ai pas noté de vitres de protection devant les tableaux, mais les traditionnels cordons de mise à distance sont présents. 

Vue de la salle du Siècle d'or
 (source : Wikimedia Commons)

Dans les œuvres, on note beaucoup de dépôts du Louvre (Philippe IV en pied en chasseur de Velázquez), ou encore de Cluny et d’Ecouen (très belles statues religieuses polychromes XVIIe). Les caravagesques espagnols sont bien représentés. Parmi les perles du musée, deux beaux Zurbaran, Le Portrait d'Alvar Belásquez de Lara, et Le martyr chartreux, 1636, ci-dessous :

(Source : Base Joconde)

Quatrième salle : Salle Cano et Murillo.
Cette petite pièce contient trois tableaux de Alonso Cano, et la belle Vierge au chapelet de Murillo. 
J'y remarque que des anciens puits de lumières zénithaux ont été bouchés. C'est le cas dans toutes les salles où il y en avait.

Cinquième salle : Salle Goya - XIXe siècle.
Le titre du musée étant ce qu'il est, et le grand Goya ayant été ce qu'il fut, cette salle se veut l'apothéose du musée. C'est logique, on part au musée Goya en se disant "chouette, je vais voir des Goya". Ils sont au nombre de trois : un Autoportrait aux lunettes, vers 1800, le Portrait de Francisco del Mazo, vers 1815, et la grande machine (4m60 sur 3m50 - le plus grand tableau du musée) qu'est L'Assemblée de la Compagnie Royale des Philippines dite La Junte des Philippines, vers 1815 :

 (Source : Base Joconde)

Cette dernière trône au fond de la salle, dans un espace fermé spécialement pour elle ; le visiteur est tenu à distance, mais c'est un tableau qu'il vaut mieux regarder de loin. Des sièges au milieu de la salle permettent de s'asseoir pour l'admirer à loisir. Des haut-parleurs sont accrochés dans la salle notamment au-dessus du tableau ; je me demande à quelle fin. Derrière le renfoncement avec cordon qui délimite l'espace de La junte, le panneau de contrôle du matériel hi-fi ; à portée de main pour le visiteur aux mains baladeuses.
Je ne suis pas très fan de la scénographie déployée ici. Les murs sont couverts d'une tapisserie beige un peu vieillotte ; je trouve que la moquette sur les murs donne vite une impression poussiéreuse dans un musée. 
Sur le mur du coté (gauche en entrant dans la salle), la cimaise centrale expose les deux autres Goya, entourés de portraits de la même époque. Notre charmant comité d'accueil au musée nous avait vanté les mérites d'un de ces portraits, celui de Madame de Scott par Federico de Madrazo y Kuntz


 Pour le coup, je ne suis pas déçue, bien au contraire. La dame dégage une grande douceur, quelque chose de beau et nostalgique, de serein. Techniquement, c'est superbe. Beau comme du Ingres, l'âme en plus.
Dans le reste de la salle, des scènes de genre et des paysages de la même époque, notamment des Lucas Velázquez.

Sixième salle : XXe siècle. 
La salle tranche avec les précédentes, puisque les cloisons cachent le bâti du palais XVIIe à nos yeux. C'est très blanc, et surtout éclairé de néons tremblotants affreux ; je ne reste pas longtemps dans la salle tellement c'est désagréable. Les collections sont modestes, mais proposent quelques belles choses. Parmi les Joconde du musée, un Buste d'homme écrivant de Picasso daté de 1971.
J'apprécie la belle sculpture Aurore de Jaime Otero, qui me rappelle le style de Letourneur. En face est exposé un José Clara dans le même goût. 

La visite n’est pas une boucle, il faut revenir sur ses pas jusqu’à l’accueil pour les deux dernières salles. 

Septième salle : Salle Briguiboul.
Cette salle expose des œuvres de celui sans qui le musée ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. On trouve dans ses peintures l'histoire de la peinture de la seconde moitié du XIXe, entre orientalisme, impressionnisme et scènes de genre. Au milieu, une vitrine abrite des céramiques à lustre métallique espagnoles.

Huitième salle :  Cabinet d'armes.

(Source : Wikimedia Commons) 

La présentation en accumulation, du sol au plafond, les vitrines bien pleines, rappelle l'ambiance d'un cabinet privé. Sur la droite en entrant, quelques affiches en lien avec les guerres françaises du XIXe et XXe siècles (telle qu'une proclamation de Charles X), et des curiosités dans le thème des "militaria" (une bannière d'Indochine par exemple).
Les vitrines dévolues à la Seconde Guerre Mondiale contiennent notamment des armes ayant appartenu aux SS, frappées de l'aigle germanique ou de la croix gammée. Une petite notice explique que leur présence ici est à but didactique et historique, sans intention de choquer ; elle est mieux écrite que le résumé que j'en propose, et je salue là aussi un effort de communication judicieux. Il est plus intéressant de montrer ces objets que de les cacher.
Dans la deuxième vitrine sur le même thème, des objets atypiques, comme une lettre manuscrite de De Gaulle, ou un billet déchiré accompagné, d’un mot écrit par un ancien résistant expliquant son usage pour se retrouver entre informateurs, chacun possédant une partie du billet.

Voilà pour les collections permanentes du musée Goya. J'ai fait un tour dans l'exposition temporaire, mais pressée par le temps je n'ai pas noté le nom du graveur qui était exposé... honte à moi. J'ai cependant noté que l'espace était neuf, bien agencé, les éclairages et les cimaises modulables, permettant de réaliser de belles expositions temporaires. L'artiste exposé étant un graveur, étaient installées des notices techniques, et quelques matrices en cuivre. Là encore, une médiation sur le thème technique qui me touche.
 En conclusion, j'ai aimé le Musée Goya. De si belles collections espagnoles en France sont assez rare pour être appréciées, le bâtiment vaut le coup d'oeil, et on y observe de très belles pièces. Si la scénographie est un peu passée par endroit, on se consolera en se perdant dans la contemplation des yeux de Madame de Scott, avant d'aller flâner dans la vieille ville de Castres sur les bords de l'Agout.

Liens utiles :

mercredi 9 mai 2012

Ouverture du blog

Ce modeste site a pour but d’offrir un aperçu de la muséologie à travers le monde. Vaste projet me direz-vous. Je n’ai bien sur ni prétention d’exhaustivité, ni science infuse ; j’ai dans l'idée de vous livrer mes impressions au fil des voyages et des visites que j’ai la chance de réaliser, sur le plan de la muséologie au sens large. Médiation, conservation, collections, en fonction de ce qu’il m’est donné de voir ; quels choix sont faits selon le pays abordé, le type de musée ou de monument visité, quelles sont les problématiques internationales et celles résolument locales. 
Espérons qu’à long terme, la compilation de ces notes puisse se rendre utile, que vous soyez étudiant ou professionnel de la muséologie, visiteur occasionnel ou amateur éclairé.