Kaléidoscope de musées et monuments de par le monde, entre muséologie comparée et tourisme iconographique.

samedi 14 décembre 2013

Prison d’Hoa Lo, Ha Noi, Vietnam

20.000 VND par personne (environ un dollar), temps de visite : une heure à une heure et demie avec les expositions temporaires. A l’entrée, des casiers gratuits permettent de déposer son sac afin de se promener les mains dans les poches.

Le panneau "Maison Centrale" à l'entrée du site est un des symboles majeurs du colonialisme français à Hanoi

La Prison d’Hoa Lo est, comme son nom l’indique, une prison, dont une partie fut transformée en musée dans les années 1990 par le gouvernement vietnamien. Le reste du complexe fut détruit à la même époque pour construire un immense centre commercial.
L’ensemble fut construit par les Français dans les années 1890, suivant l’établissement du protectorat ; il servit notamment à emprisonner et torturer les prisonniers politiques et les membres du mouvement indépendantiste vietnamien. Ho Chi Minh lui-même y fit un séjour de quelques années. Après le départ français, la prison connut une seconde période d’activité quand elle « accueillit » les pilotes américains dont les avions étaient abattus dans le nord du pays pendant la guerre du Vietnam.

Plan du musée et des collections

Plan des vestiges conservés par rapport au site originel
Les salles du musées sont une succession de salles d’exposition, avec quelques collections illustrant les activités carcérales, et beaucoup de panneaux explicatifs sur son histoire et ce qui s’y déroulât, et de salles de reconstitution avec des mannequins. On y trouve également un espace d’exposition temporaire, les incontournables boutiques de souvenirs, et un monument aux morts.

La première partie du musée est consacrée à l’occupation française, et à la construction du site. Dans la première salle, des photographies et des relevés montrent comment les colons français ont exproprié les occupants du lieu, un village d’artisans, pour libérer le terrain nécessaire à l’établissement de la prison. Le ton employé est un peu revanchard, mais à la lecture des textes, le visiteur français se sent tout petit et assez coupable, et ne saurait s’en plaindre.

Photo et carte du site avant la construction, et stèles fondatrices de la pagode qui s'élevait auparavant ici

La version anglaise du texte d'introduction

Résultat des fouilles archéologiques des ruines du village lors de la destruction d'une partie du complexe d'Hoa Lo

La sécurité incendie est assurée !
 Dans la salle suivante, une grande maquette du quartier montre l’étendue de la prison (au fil des visites, les conservateurs vietnamiens semblent avoir un goût particulier pour la maquette qui rappelle les musées cubains – le ton propagandiste aussi !).


 Cette deuxième salle s’intéresse plus précisément à la vie dans la prison, avec par exemple des reproductions de lettres en français écrites par les administrateurs d’Hoa Lo. On trouve également le règlement intérieur de la prison, des matériaux de construction, et la grande porte originale du complexe. Les Français sont exclusivement désignés sous le titre de « French colonialists », « les colonialistes français ».
Jusque là, tous les cartels et textes explicatifs sont rédigés en anglais et en vietnamien, et l’ensemble est propre, neuf, et le mobilier en bon état général. Un système de ventilation active et de climatisation existe, mais il est éteint, comme dans le précédent musée visité. Je me demande si le système ne sert qu’à la saison chaude ? (la visite a lieu au début de l’hiver, après la mousson)

Le règlement intérieur de la prison édicté par le Résident supérieur français


L'ancienne porte d'entrée de la prison
 La section suivante du musée est intitulée « Cruel persecution and hard life in the colonial prison », « Persécution cruelle et vie difficile dans la prison coloniale » : elle porte surtout sur le régime alimentaire des prisonniers, et les maladies contractées durant le séjour. Sont exposés de la vaisselle, des vêtements, des témoignages, accompagnés de quelques portraits photographiques de prisonniers, hommes et femmes, dont certains portant des carcans.


"Drinking water canteen used by Hoa Lo political prisoners" / "Bidon utilisé pour boire de l'eau par les prisonniers politiques d'Hoa Lo"

Tenue d'un prisonnier, couverture

Une illustration assez terrible des conditions de vie des hommes dans la prison
On pénètre ensuite dans des salles mises en scène avec des mannequins de prisonniers enchaînés dans la pénombre, mis aux fers, une cheville entravée. Un ventilateur dans un coin est allumé. L’effet général, dans le silence troublé uniquement par la ventilation, et dans la semi-obscurité, face à ces mannequins grandeur nature, est saisissant.

Et boum, comme sur la photo. Effet garanti.


On croise beaucoup de panneaux de prévention
 On traverse ainsi une première grande salle, conçue pour plusieurs dizaines de prisonniers, puis on visite le quartier d’isolement, avec un cachot ouvert, et un cachot fermé. Je remarque le sol en pente, s’abaissant depuis la porte jusqu’au fond de la geôle ; s’agit il d’une modification du niveau du sol due aux   restaurations, ou d’une conception originale pour faire souffrir les prisonniers ? Difficile de poursuivre la visite sans avoir un petit frisson.


Le circuit de visite (très bien signalisé par des flèches, on n’est jamais perdu) nous mène ensuite en extérieur, le long du bâtiment que l’on vient de visiter. Des bas-reliefs "décrivant" la vie quotidienne dans la prison ornent les murs.


On y découvre aussi un très bel arbre, pourvu d’un cartel, dont je soupçonne le titre d’être mal traduit ; il ne s’agit clairement pas d’un amandier, je pencherais pour un marronnier (mais sans certitude, étant muséologue et non botaniste). L’anecdote relatée est intéressante :


"L'amandier : de 1930 à 1954 les détenus du département des prisonniers politiques utilisaient des amandes pour améliorer leur santé, l'écorce et les jeunes pousses pour soigner dysenterie et diarrhée, nettoyer les plaies et les ulcères, les branches pour faire des portes-plumes, des pipes, des flûtes et autres instruments de musique. Sous l'arbre, les prisonniers politiques avaient l'habitude de se réunir pour débattre des mesures à prendre pour lutter contre l'isolation sévère imposée par l'ennemi et la répression barbare."
 Sont ensuite exposés des objets liés aux tentatives d’évasion (si possibles réussies) des prisonniers : bouche d’égouts sciés et équipements sabotés sont à l’honneur.


"Porte d’égout souterrain. La nuit du 24 décembre 1951, 16 prisonniers politiques ont rampé à travers cette porte, par le couloir de la mort, et se sont échappés. Cinq d'entre eux ont réussi à rejoindre la base de la résistance pour continuer la lutte."
 Puis on traverse une première boutique de souvenirs, qui fait face à deux vieilles vitrines avec des maquettes (encore !) reproduisant des scènes d’évasion et de persécution poussiéreuses.

"Iron grille at the underground sewer during reparation for escape" (sic), "Porte de fer à la bouche d'égout souterrain pendant la préparation de l'évasion"

"Struggle against enemy's terrorism", "Lutte contre le terrorisme ennemi"
 La prochaine section du musée est la salle d’exposition temporaire, en ce moment consacrée à l’écriture et la littérature dans les geôles impérialistes, ou comment le bon communiste devient un poète de talent sous la persécution.
Entrée de l'exposition

L’exposition est assez lumineuse, les murs sont peints en gris avec des silhouettes gris sombre de prisonniers, de chaînes et de pierres. On y voit des photographies de prisonniers, leurs œuvres publié
es, et des portraits accompagnés d’une courte biographie (dates de vie – et de mort – parfois un court développement sur leur vie) ainsi que d’un poème de leur composition.


A droite, le jeune Ho Chi Minh, qui fait partie de la longue liste des prisonniers politiques d'Hoa Lo


Sous vitrine, les oeuvres publiées

La scénographie est léchée et évoque l’univers carcéral sans être trop tape-à-l’œil. Par contre, on ne peut que déplorer l’absence de traduction des poèmes et des textes, qui sont le sujet de l’exposition, et ne sont présentés qu’en vietnamien. Sans parler la langue, on visite donc l’exposition en s’en sentant coupé, inapte à y plonger. Le sentiment est assez frustrant.
Dans la dernière salle on voit quelques photos sur les récompenses et la reconnaissance offertes aux écrivains des prisons.

On remarque qu’il y a beaucoup de plantes en pot dans les salles, mais vue la teneur des collections (essentiellement des panneaux explicatifs !), on ne s’inquiète pas trop de l’impact des plantes vertes dans le volet conservation préventive.

En quittant l’exposition temporaire, on aborde les salles consacrées au soutien étranger (dont le français, très représenté) face à la guerre initiée par les Etats-Unis en 1965. Beaucoup de reproductions de photos et d’articles de journaux relatent les nombreuses manifestations, surtout en Europe et aux Etats-Unis, en réaction à la guerre du Vietnam, et des soutiens plus concrets sous forme de collectes et de dons.

On rejoint ensuite le bâtiment des femmes, où les prisonnières s’entassaient dans trois « grandes » cellules, deux pour les femmes seules, une troisième pour celles accompagnées d’enfants. Des mannequins sont là pour éveiller l’imagination du visiteur, et l’effet est glaçant.


On a le sentiment d’une gradation dans l’horreur quand on pénètre dans la grande salle suivante, intitulée « Crims of the French colonialists against revolutionary patriotic soldiers », « Les crimes des colonialistes français contre les soldats patriotiques révolutionnaires » et que l’on découvre une immense guillotine, horriblement impressionnante. L’éclairage adroit  crée une grande ombre projetée qui semble la grandir encore.



Les vitrines de la salle sont remplies d’instruments de torture aux cartels succincts, qui portent toujours le même commentaire : « used by French colonialists for torture Vietnamese political prisoners in Hanoi Detective Department » (sic), « utilisé par les colonialistes français pour torturer les prisonniers politiques vietnamiens dans le Département d’Investigation d’Hanoi ».


Certains panneaux explicatifs proposent des portraits photos des martyrs de la cause, et des illustrations très crues sur les méthodes répressives des Français, notamment la reproduction de la photo des trois têtes coupées des empoisonneurs du complot de Ha Thanh, en 1908. Bon, c’est sur que c’est cohérent avec la guillotine exposée juste à coté…


Portraits de prisonnières. Sont exposés à proximité des objets d'artisanat qu'elles ont fabriqués pendant leur emprisonnement (broderie par exemple).
Enfin, on termine de visiter ce bâtiment-ci avec le couloir de la mort, une série de petites cellules où des mannequins figurent les condamnés à mort dans l’attente de leur sort. Nous nous faisons la remarque qu’il n’y a pas de mauvaise odeur dans le musée, malgré les nombreux mannequins qui sont souvent des nids à poussière et à odeur bizarre. Nous en concluons que le musée est propre et bien entretenu, comme nous le confirme le bon état général des lieux. 

Plan du couloir de la mort originel et des cellules actuelles, ainsi que les noms de leurs occupants



En continuant le parcours fléché, on ressort du bâtiment pour traverser une boutique de souvenirs et aller se recueillir au mémorial en plein air, fort de grands reliefs dans un style communiste de circonstance. Des fleurs et des bâtons d’encens sont en vente pour honorer le mémorial.

Au-dessus du monument se dresse un building appartenant au complexe commercial bâti sur le terrain libéré par la destruction d'une partie de la prison dans les années 1990. Contraste du monument communiste et du symbole de l'économie capitaliste ?
La prochaine section nous fait avancer chronologiquement, puisqu’elle nous emmène dans la deuxième vie de la prison d’Hoa Lo, quand l’ancienne Maison Centrale « accueillit » les pilotes américains capturés dans le nord du Vietnam et gagna son surnom de « Hanoi Hilton ».

"Quelques objets et photos des pilotes américains à la prison d'Hoa Lo. [...] Pendant la guerre, le contexte économique était difficile, mais le gouvernement vietnamien avait créé les meilleurs conditions de vie pour les pilotes américains. Ils avaient une vie stable pendant la période de détention temporaire. [...]"
 Elle est très intéressante pour son traitement du propos, soutenu par deux vidéos diffusées dans les deux salles d’exposition. Narrée en vietnamien, sous-titrée en anglais, la première vidéo offre un résumé de l’horreur de la guerre du Vietnam, menée par les « American Imperialists », « les Impérialistes Américains » et plus particulièrement des bombardements. La télé est installée sur un mur en hauteur ; ce dernier est peint de ruines fumantes, avec des lumières tremblotantes, offrant une ambiance un peu too much. 
Quant aux vitrines de la section, elles contiennent les possessions des prisonniers américains détenus à Hoa Lo : moustiquaire, vêtements chauds, pipe et blague à tabac…



Vitrine dévolue à l'équipement de John McCain, une des stars des prisonniers du département
 L’exposition est basée sur le contraste entre le sort imposé par les Etats-Unis aux vietnamiens, et l’excellent traitement offert par le Vietnam à ses prisonniers américains. Dans la deuxième salle, un texte rappelle que le gouvernement a tout fait pour offrir les meilleures conditions de vie à ses prisonniers malgré les difficultés économiques d’alors. Le second film, intitulé « Uninvited Guests », « Invités non-invités/inattendus », s’attache d’ailleurs à décrire la vie quotidienne des pilotes à Hoa Lo, et leur libération, soutenu par un corpus de photographies : les pilotes en train de fêter Noël, ou en train de faire du sport, les soins prodigués à l’hôpital, les prières à l’église… Tout le monde est heureux, souriant, en bonne santé.

Exemples de la liberté de culte accordée aux prisonniers

Les prisonniers en train de préparer le repas de Noël

Vitrine thème "comment passer le temps à Hoa Lo"

"American pilots translated poem Spring 1969 on New Year Festival of Ho Chi Minh President", "Les pilotes américains ont traduit le poème du président Ho Chi Minh Le printemps de 1969 au festival du Nouvel An"
 Il serait intéressant de confronter cette version des faits à celles des pilotes américains qui ont vécu l’expérience et écrit des mémoires.
Cette section se conclut sur la reprise des relations américano-vietnamiennes dans les années 90, sous Bill Clinton, puis sous Bush Jr., et la mise en place d’échanges économiques (des photos de constructions de buildings par exemple).

La dernière séquence du musée d’Hoa Lo est constituée de quelques salles, à l’étage au-dessus, où est rendu hommage aux 1624 prisonniers faits par les français entre 1899 et 1954. Les deux premières salles abritent des stèles couvertes de leurs noms.




Les salles suivantes apportent un peu plus d’informations sur les méthodes de la police secrète française, les réseaux clandestins indépendantistes et les arrestations menées. Sont exposées des photographies des martyrs, des témoignages, des lettres, des rapports des services secrets français sur les organisations communistes, des listes de personnes à arrêter…





On retrouve la même scénographie que dans l’exposition temporaire, avec des murs gris, peints de chaînes et d’ombres aux poings levés.

***

Voilà un musée difficile à apprécier : la scénographie est de qualité, les lieux assez bien mis en valeur et entretenus, témoins d’un siècle d’histoire mouvementée, les collections très intéressantes. Mais tout cela est mis au service d’un propos biaisé, partial.
Nous parlons de sujets sensibles, compliqués à traiter : colonisation, impérialisme, guerre, et le destin d’un pays livré pendant plus d’un siècle à des étrangers qui n’auraient rien du avoir à faire dans sa gestion. Je ne me sens donc pas la prétention de savoir comment ils auraient du traiter le sujet, quel est le ton précis à employer, mais je suis gênée par ce traitement trop subjectif. Fervente lectrice d’Howard Zinn, et prête à critiquer l’impérialisme américain sous toutes ses formes, je n’ai eu qu’une envie en sortant de là : lire les écrits des pilotes en question, et voir comment eux ont vécu leur emprisonnement à Hoa Lo, comment ça s’est « réellement » passé. Et ce n’est que pour la section « Hanoi Hilton » ; les salles dédiées à la période française sont également difficiles à encaisser quand on s’y promène en tant que touriste français ; s’il faut reconnaître les horreurs commises au nom de la colonisation afin d’avancer sainement dans l’avenir, le ton employé ici me semble malheureusement plus accusateur qu’apaisant. Par ailleurs, dans l’exposition à la gloire des écrivains communistes, le visiteur qui ne lit pas le vietnamien est exclu du propos, puisqu’il ne peut apprécier les poèmes qui sont le thème même du dispositif. Non, vraiment, le ton du musée ne me plaît pas.

Ce qui est fort dommage, car le potentiel est là, le bâtiment et ses collections sont très riches, et permettent effectivement d’illustrer et raconter toute la tourmente qui a agité le Vietnam de la fin du XIXe à la fin du XXe siècle. Un endroit à visiter, en gardant son esprit critique en éveil.


Liens utiles :
Le témoignage de Julius Jayroe, prisonnier de guerre américain qui fit un passage à Hoa Lo
Le compte-rendu par Mark Lander de la visite de John McCain à la prison d'Hoa Lo en 2000, paru dans le New York Times
La critique du musée sur about.com par Michael Aquino ; il propose notamment une bibliographie de témoignages américains pour confronter les sources