Kaléidoscope de musées et monuments de par le monde, entre muséologie comparée et tourisme iconographique.

vendredi 11 octobre 2013

Musée Archéologique d'Afrosiyob, Samarkand, Ouzbékistan




9000 sums par personne (dans les 4$), 3000 sums par appareil photo. Ouvert tous les jours de 9h à 17h.

Situé au nord-est de Samarkand, sur une colline face au complexe de Bibi Khanum, le complexe archéologique d’Afrosiyob (prononcer « Afrasiyab ») s’étend sur plus de 220 hectares, et sur une profondeur de 8 à 12 mètres. Il s’agit du site de la première fondation de Samarkand, dont on estime l’occupation à partir du VIIe siècle avant J.-C. jusqu’à 1220 de notre ère. Il fait partie des vestiges archéologiques les plus importants concernant la civilisation sogdienne, avec notamment son palais et ses fabuleuses peintures. Le site a été découvert dans les années 1880 par des archéologues russes ; une deuxième vaste campagne d’excavation met à jour le palais dans les années 1960. Le musée est construit dans les années suivantes pour abriter ses précieuses trouvailles. Les fouilles se poursuivent inlassablement depuis bientôt 140 ans.


 
Le musée est climatisé, mais la porte d’entrée est grande ouverte ; il n’y a pas de sas. Dans le petit hall d’entrée, on trouve à droite la billetterie, à gauche la boutique de souvenirs. Pas de musée ouzbèke sans souvenirs et artisanat ; les produits à vendre prennent même parfois plus de place que les collections elles-mêmes.

A gauche l'entrée, et son armée de gardiennes
  Je prends d’ailleurs peur dès l’entrée dans la première grande pièce du musée ; je n’ai pas fait trois pas que j’assiste à la fuite d’une touriste russe, poursuivie par une femme en tenue traditionnelle et son sac à main brodé. Je comprends que cette femme est une des innombrables gardiennes du musée, toutes vêtues d’une robe ouzbèke, on les reconnaît bien. Ces gardiennes sont finalement plus des vendeuses que des vigiles… par les portes ouvertes, dans la première salle du musée, on aperçoit leurs salles de repos, avec lits, télés allumées, bols de soupes, coussins… Niveau conservation préventive, la pause laughman* dans le musée ne me paraît pas appropriée.
Finalement, me voyant très peu intéressée par leurs broderies et plongée dans ma prise de notes, elles ne m’embêteront pas.

Dans un coin de cette première pièce, on trouve un climatiseur éteint et des sacs poubelles. Bon.
On y voit de nombreux ossuaires, datés du Ve au VIIe siècle après J.-C., en terre cuite aux motifs estampés ; certains sont très finement décorés, d’autres plus simples.

Le plus beau - à mon sens - de ces ossuaires, avec une scène d'adoration du feu en bas, et du soleil en haut

La petite porte à droite mène à la salle centrale du musée

Les éclairages ont l'air tout neuf et pourvus d'un système d'évacuation de la chaleur vers le haut
J’ai d’abord cru le musée climatisé, mais en fait je pense qu’il s’agit de la fraîcheur du bâtiment lui-même, entretenu par une ventilation passive. Tous les appareils de climatisation sont éteints, ainsi que les dispositifs multimédias ; ça me rappelle le Musée d’histoire de Tashkent, aux innombrables télés éteintes.

Une des nombreuses clims éteintes

Et l'écran éteint lui-aussi
Les cartels sont trilingues : ouzbèke, russe, anglais, et encore plus minimalistes que d’habitude : un titre, une date, point. En y réfléchissant, je suppose que la provenance n’est pas forcément nécessaire puisque nous sommes dans un musée de site. La lumière est allumée un peu aléatoirement dans les vitrines ; les cartels sont également un peu aléatoires. Par exemple, deux vitrines contenant le même type d’objet auront deux cartels différents. Surement une envie de varier plutôt que de faire des copier-coller.

Toutes ces vitrines sur la droite contiennent des fragments de plâtres moulés pour décor architectural, même datation, mais pas une seule vitrine ne comporte le même cartel
 Le bâtiment est organisé autour de la pièce centrale, qui contient les pièces maîtresses du palais d’Afrosiyob, les peintures murales du VIIe siècle.
La pièce est aveugle, puisque les fresques recouvrent tous les murs ; la seule ouverture est pour l’entrée des visiteurs. La climatisation est éteinte, mais la lumière est assez douce. Devant chaque mur, un panneau sur pied propose un dessin de restitution du motif, très utile vu l’état de conservation des œuvres. Surprise : les légendes sont en français ! J’en suis bien aise, puisqu’il s’agit de la seule médiation écrite de la pièce. Aucun panneau, aucun texte, aucun cartel, absolument rien sur la découverte des peintures, leur datation, le contexte de leur excavation, l’explication des iconographies… juste ces panneaux dessinés. Un petit peu dérangeant, ces dessins sont très complets et proposent des scènes à deux registres ; or les fresques ne constituent que le registre inférieur. Qu’est devenue l’autre moitié ?
Ces peintures datent de l’époque sogdienne et constituent des éléments majeurs de la connaissance de l’art sogdien ; leur interprétation est parfois controversée, mais les scènes semblent assez classiques : cortège nuptial, empereur en majesté recevant les tributs de différents ambassadeurs, scène de chasse royale.

La pièce paraît un peu plus lumineuse en photo qu'elle ne l'est réllement : au fond, le panneau central avec l'empereur en majesté, à droite les scènes de chasse, à gauche, invisible sur la photo, le cortège nuptial

La fresque centrale...

... et sa clé de lecture, tout de même très utile

Une des zones les plus lisibles : à gauche, on distingue nettement deux ambassadeurs sur leur chameau

L'éléphant qui amène la princesse chinoise qui doit marier l'empereur sogdien

Scepticisme face aux installations électriques de la salle...
Les pièces du musée sont disposées autour de cette salle centrale, comme un grand U. Les collections archéologiques comprennent autant de la vaisselle que des ossements, des éléments architecturaux, ou de petites pièces, comme des fusaïoles ou des figurines moulées.

Une contextualisation est offerte par de grandes photographies du site archéologique à l’entrée de la première pièce. Mais je déplore le manque de cartels. Ils sont d’ailleurs disposés de manière un poil fantaisiste, parfois dans les vitrines, parfois posés dessus, parfois de guingois.

Entrée dans la galerie des collections, vue sur la droite

Entrée dans la galerie des collections, vue sur la gauche
Les vitrines et la décoration sont un peu à l’ancienne, et étaient surement de très bonne qualité quand elles étaient encore neuves. L’ensemble général demeure propre et bien, mais à y regarder de près, une petite rénovation ne ferait pas de mal.

Ca dépasse un peu...

Par-ci par-là...

En revanche, j'aime bien les supports transparents pour les céramiques
De même qu’au musée de Tashkent sont exposés des restes humains. Y est associée une typologie de crânes qui demeure un peu obscure puisque toute en ouzbèke. A coté sont exposées de photos années 60 de restauratrices au travail.





Juste après cette section « anthropologique » sont exposées de grandes jarres en céramiques, recontextualisées en les plantant dans un faux sol ; l’effort est louable, le résultat peu engageant. En vieillissant et en prenant de la poussière, l’effet est beaucoup moins sympathique que prévu.


Parfois, les céramiques sont posées sur les vitrines. Ce me semble un peu dangereux.
Pendant la visite, une vigile vient et éteint certaines lumières de vitrines. Je me demande bien pourquoi.


La muséo-fil de nylon, ca vous rappelle des souvenirs ?
Toutes les fenêtres sont pourvues de stores, mais ils ne sont pas toujours tirés. Ils contribuent à conserver la fraîcheur du bâtiment.

Sont également proposées des petites reconstitutions architecturales à partir de restes archéologiques : un intérieur de maison du VIe siècle, avec sa meule et son foyer, et un autel zoroastrien du VIIe siècle. 



Parfois le cartel ouzbèke est écrit en lettres latines (le plus souvent)

L'autel zoroastrien


D'autres fois, le cartel ouzbèke est en lettres cyrilliques.


Les séquences sont séparées par des cloisons modernes rappelant l’habitat de l’époque, avec des fenêtres à la forme caractéristique, en forme de flèche pointée vers le haut. Les fenêtres de cette section du musée sont obturées par des caches blancs qui reprennent la même forme. Un jeu de fausses colonnes se répond d'une pièce à l'autre. L'animation créée n'est pas mal.





Dans cette même salle, je me rends compte que certaines vitrines ne sont pas scellées au mur, et tanguent dangereusement ! Mais on y croise aussi une climatisation en fonctionnement, hallelujah !

Un four à poterie, avec une section "technique" ; j'aime qu'on prenne le temps de nous expliquer les techniques de création, c'est juste dommage que ce ne soit pas multilingue
 Comme à Tashkent et dans la plupart des musées ouzbèkes visités pour l’instant (publication à venir…), on rencontre des gravures « historiques » proposant des reconstitutions de panoplies guerrières, aux explications malheureusement tout en ouzbèke. Des photos d’œuvres du British Museum sont présentées à titre de comparaison.




La dernière séquence du musée est consacrée à une grande mission archéologique menée sur le site par une équipe franco-ouzbèke en 1992 ; je suppose que j’ai maintenant l’explication des textes en français sur les panneaux de reconstitution des fresques du palais.




En sortant du musée, en tournant à droite, on aperçoit un petit portillon ouvrant sur la montagne, pas du tout fléché ; mon guide de voyage m’informe qu’en empruntant le sentier derrière ce portail sur un kilomètre, je pourrai découvrir le site archéologique. Vous me pardonnerez, chers lecteurs, de n’avoir pas été jusque là sous un soleil de plomb. Voici l’entrée de cet espace archéologique, et son aridité, qui, je l’espère, vous fera comprendre mon manque d’investigation. Il est bien dommage que l’accès au site ne soit pas mieux indiqué, et balisé ; il n’y a aucun chemin praticable, aucune ombre, et on n’est pas sûr de ce que l’on va trouver (de plus, quand le Lonely Planet vous promet un kilomètre de marche, on peut tabler sur deux minimum).


En conclusion, un musée agréable, aux collections très originales et très riches, mais vieillissant ; il est tout de même en bon état général. Il gagnerait beaucoup à la mise en place d’une médiation écrite, et à la traduction en anglais et en russe des quelques cartels développés et textes explicatifs. Une visite que je recommande si de passage à Samarkand, mais qui mérite peut-être que l’on se documente préalablement sur les Sogdiens.

Liens utiles :
Un cours en ligne de l'Université de Halle sur les peintures d'Afrosiyob
La référence à Afrosiyob dans le fameux Shahnameh sur l'Encyclopedia Iranica

* Les laughman sont les pâtes ouzbèkes, largement consommées en soupe pour le déjeuner