20.000 VND par personne (environ
un dollar), temps de visite : une heure à une heure et demie avec les
expositions temporaires. A l’entrée, des casiers gratuits permettent de déposer
son sac afin de se promener les mains dans les poches.
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Le panneau "Maison Centrale" à l'entrée du site est un des symboles majeurs du colonialisme français à Hanoi |
La Prison d’Hoa Lo est, comme son
nom l’indique, une prison, dont une partie fut transformée en musée dans les
années 1990 par le gouvernement vietnamien. Le reste du complexe fut détruit à
la même époque pour construire un immense centre commercial.
L’ensemble fut construit par les
Français dans les années 1890, suivant l’établissement du protectorat ; il
servit notamment à emprisonner et torturer les prisonniers politiques et les
membres du mouvement indépendantiste vietnamien. Ho Chi Minh lui-même y fit un
séjour de quelques années. Après le départ français, la prison connut une
seconde période d’activité quand elle « accueillit » les pilotes
américains dont les avions étaient abattus dans le nord du pays pendant la
guerre du Vietnam.
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Plan du musée et des collections |
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Plan des vestiges conservés par rapport au site originel |
Les salles du musées sont une
succession de salles d’exposition, avec quelques collections illustrant les
activités carcérales, et beaucoup de panneaux explicatifs sur son histoire et
ce qui s’y déroulât, et de salles de reconstitution avec des mannequins. On y
trouve également un espace d’exposition temporaire, les incontournables
boutiques de souvenirs, et un monument aux morts.
La première partie du musée est
consacrée à l’occupation française, et à la construction du site. Dans la
première salle, des photographies et des relevés montrent comment les colons
français ont exproprié les occupants du lieu, un village d’artisans, pour
libérer le terrain nécessaire à l’établissement de la prison. Le ton employé
est un peu revanchard, mais à la lecture des textes, le visiteur français se
sent tout petit et assez coupable, et ne saurait s’en plaindre.
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Photo et carte du site avant la construction, et stèles fondatrices de la pagode qui s'élevait auparavant ici |
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La version anglaise du texte d'introduction |
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Résultat des fouilles archéologiques des ruines du village lors de la destruction d'une partie du complexe d'Hoa Lo |
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La sécurité incendie est assurée ! |
Dans la salle
suivante, une grande maquette du quartier montre l’étendue de la prison (au fil
des visites, les conservateurs vietnamiens semblent avoir un goût particulier
pour la maquette qui rappelle
les musées cubains – le ton propagandiste aussi !).
Cette deuxième salle s’intéresse
plus précisément à la vie dans la prison, avec par exemple des reproductions de
lettres en français écrites par les administrateurs d’Hoa Lo. On trouve
également le règlement intérieur de la prison, des matériaux de construction,
et la grande porte originale du complexe. Les Français sont exclusivement
désignés sous le titre de « French colonialists », « les
colonialistes français ».
Jusque là, tous les cartels et
textes explicatifs sont rédigés en anglais et en vietnamien, et l’ensemble est
propre, neuf, et le mobilier en bon état général. Un système de ventilation
active et de climatisation existe, mais il est éteint, comme dans le précédent
musée visité. Je me demande si le système ne sert qu’à la saison chaude ?
(la visite a lieu au début de l’hiver, après la mousson)
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Le règlement intérieur de la prison édicté par le Résident supérieur français |
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L'ancienne porte d'entrée de la prison |
La section suivante du musée est
intitulée « Cruel persecution and hard life in the colonial prison »,
« Persécution cruelle et vie difficile dans la prison coloniale » :
elle porte surtout sur le régime alimentaire des prisonniers, et les maladies
contractées durant le séjour. Sont exposés de la vaisselle, des vêtements, des
témoignages, accompagnés de quelques portraits photographiques de prisonniers,
hommes et femmes, dont certains portant des carcans.
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"Drinking water canteen used by Hoa Lo political prisoners" / "Bidon utilisé pour boire de l'eau par les prisonniers politiques d'Hoa Lo" |
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Tenue d'un prisonnier, couverture |
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Une illustration assez terrible des conditions de vie des hommes dans la prison |
On pénètre ensuite dans des
salles mises en scène avec des mannequins de prisonniers enchaînés dans la
pénombre, mis aux fers, une cheville entravée. Un ventilateur dans un coin est
allumé. L’effet général, dans le silence troublé uniquement par la ventilation,
et dans la semi-obscurité, face à ces mannequins grandeur nature, est
saisissant.
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Et boum, comme sur la photo. Effet garanti. |
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On croise beaucoup de panneaux de prévention |
On traverse ainsi une première grande salle, conçue pour plusieurs
dizaines de prisonniers, puis on visite le quartier d’isolement, avec un cachot
ouvert, et un cachot fermé. Je remarque le sol en pente, s’abaissant depuis la
porte jusqu’au fond de la geôle ; s’agit il d’une modification du niveau
du sol due aux
restaurations, ou d’une conception originale
pour faire souffrir les prisonniers ? Difficile de poursuivre la visite
sans avoir un petit frisson.
Le circuit de visite (très bien
signalisé par des flèches, on n’est jamais perdu) nous mène ensuite en
extérieur, le long du bâtiment que l’on vient de visiter. Des bas-reliefs "décrivant" la vie quotidienne dans la prison ornent les murs.
On y découvre aussi un très
bel arbre, pourvu d’un cartel, dont je soupçonne le titre d’être mal
traduit ; il ne s’agit clairement pas d’un amandier, je pencherais pour un
marronnier (mais sans certitude, étant muséologue et non botaniste). L’anecdote
relatée est intéressante :
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"L'amandier : de 1930 à 1954 les détenus du département des prisonniers politiques utilisaient des amandes pour améliorer leur santé, l'écorce et les jeunes pousses pour soigner dysenterie et diarrhée, nettoyer les plaies et les ulcères, les branches pour faire des portes-plumes, des pipes, des flûtes et autres instruments de musique. Sous l'arbre, les prisonniers politiques avaient l'habitude de se réunir pour débattre des mesures à prendre pour lutter contre l'isolation sévère imposée par l'ennemi et la répression barbare." |
Sont ensuite exposés des objets
liés aux tentatives d’évasion (si possibles réussies) des prisonniers :
bouche d’égouts sciés et équipements sabotés sont à l’honneur.
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"Porte d’égout souterrain. La nuit du 24 décembre 1951, 16 prisonniers politiques ont rampé à travers cette porte, par le couloir de la mort, et se sont échappés. Cinq d'entre eux ont réussi à rejoindre la base de la résistance pour continuer la lutte." |
Puis on traverse une première
boutique de souvenirs, qui fait face à deux vieilles vitrines avec des
maquettes (encore !) reproduisant des scènes d’évasion et de persécution
poussiéreuses.
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"Iron grille at the underground sewer during reparation for escape" (sic), "Porte de fer à la bouche d'égout souterrain pendant la préparation de l'évasion" |
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"Struggle against enemy's terrorism", "Lutte contre le terrorisme ennemi" |
La prochaine section du musée est
la salle d’exposition temporaire, en ce moment consacrée à l’écriture et la
littérature dans les geôles impérialistes, ou comment le bon communiste devient
un poète de talent sous la persécution.
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Entrée de l'exposition |
L’exposition est assez lumineuse,
les murs sont peints en gris avec des silhouettes gris sombre de prisonniers,
de chaînes et de pierres. On y voit des photographies de prisonniers, leurs
œuvres publié
es, et des portraits accompagnés d’une courte biographie (dates de
vie – et de mort – parfois un court développement sur leur vie) ainsi que d’un
poème de leur composition.
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A droite, le jeune Ho Chi Minh, qui fait partie de la longue liste des prisonniers politiques d'Hoa Lo |
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Sous vitrine, les oeuvres publiées |
La scénographie est léchée et
évoque l’univers carcéral sans être trop tape-à-l’œil. Par contre, on ne peut
que déplorer l’absence de traduction des poèmes et des textes, qui sont le
sujet de l’exposition, et ne sont présentés qu’en vietnamien. Sans parler la
langue, on visite donc l’exposition en s’en sentant coupé, inapte à y plonger.
Le sentiment est assez frustrant.
Dans la dernière salle on voit
quelques photos sur les récompenses et la reconnaissance offertes aux écrivains
des prisons.
On remarque qu’il y a beaucoup de
plantes en pot dans les salles, mais vue la teneur des collections (essentiellement
des panneaux explicatifs !), on ne s’inquiète pas trop de l’impact des
plantes vertes dans le volet conservation préventive.
En quittant l’exposition
temporaire, on aborde les salles consacrées au soutien étranger (dont le
français, très représenté) face à la guerre initiée par les Etats-Unis en 1965.
Beaucoup de reproductions de photos et d’articles de journaux relatent les
nombreuses manifestations, surtout en Europe et aux Etats-Unis, en réaction à
la guerre du Vietnam, et des soutiens plus concrets sous forme de collectes et
de dons.
On rejoint ensuite le bâtiment
des femmes, où les prisonnières s’entassaient dans trois « grandes »
cellules, deux pour les femmes seules, une troisième pour celles accompagnées
d’enfants. Des mannequins sont là pour éveiller l’imagination du visiteur, et
l’effet est glaçant.
On a le sentiment d’une gradation
dans l’horreur quand on pénètre dans la grande salle suivante, intitulée « Crims
of the French colonialists against revolutionary patriotic soldiers », « Les
crimes des colonialistes français contre les soldats patriotiques
révolutionnaires » et que l’on découvre une immense guillotine,
horriblement impressionnante. L’éclairage adroit
crée une grande ombre projetée qui semble la grandir
encore.
Les vitrines de la salle sont remplies d’instruments de torture aux
cartels succincts, qui portent toujours le même commentaire : « used by
French colonialists for torture Vietnamese political prisoners in Hanoi Detective
Department » (sic), « utilisé par les colonialistes français pour
torturer les prisonniers politiques vietnamiens dans le Département d’Investigation d’Hanoi ».
Certains panneaux explicatifs
proposent des portraits photos des martyrs de la cause, et des illustrations très
crues sur les méthodes répressives des Français, notamment la reproduction de
la
photo des trois têtes coupées des
empoisonneurs du complot de Ha Thanh, en 1908. Bon, c’est sur que c’est
cohérent avec la guillotine exposée juste à coté…
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Portraits de prisonnières. Sont exposés à proximité des objets d'artisanat qu'elles ont fabriqués pendant leur emprisonnement (broderie par exemple). |
Enfin, on termine de visiter ce
bâtiment-ci avec le couloir de la mort, une série de petites cellules où des
mannequins figurent les condamnés à mort dans l’attente de leur sort. Nous nous
faisons la remarque qu’il n’y a pas de mauvaise odeur dans le musée, malgré les
nombreux mannequins qui sont souvent des nids à poussière et à odeur bizarre.
Nous en concluons que le musée est propre et bien entretenu, comme nous le
confirme le bon état général des lieux.
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Plan du couloir de la mort originel et des cellules actuelles, ainsi que les noms de leurs occupants |
En continuant le parcours fléché,
on ressort du bâtiment pour traverser une boutique de souvenirs et aller se
recueillir au mémorial en plein air, fort de grands reliefs dans un style
communiste de circonstance. Des fleurs et des bâtons d’encens sont en vente
pour honorer le mémorial.
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Au-dessus du monument se dresse un building appartenant au complexe commercial bâti sur le terrain libéré par la destruction d'une partie de la prison dans les années 1990. Contraste du monument communiste et du symbole de l'économie capitaliste ? |
La prochaine section nous fait
avancer chronologiquement, puisqu’elle nous emmène dans la deuxième vie de la
prison d’Hoa Lo, quand l’ancienne Maison Centrale « accueillit » les
pilotes américains capturés dans le nord du Vietnam et gagna son surnom de
« Hanoi Hilton ».
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"Quelques objets et photos des pilotes américains à la prison d'Hoa Lo. [...] Pendant la guerre, le contexte économique était difficile, mais le gouvernement vietnamien avait créé les meilleurs conditions de vie pour les pilotes américains. Ils avaient une vie stable pendant la période de détention temporaire. [...]" |
Elle est très intéressante pour
son traitement du propos, soutenu par deux vidéos diffusées dans les deux
salles d’exposition. Narrée en vietnamien, sous-titrée en anglais, la première
vidéo offre un résumé de l’horreur de la guerre du Vietnam, menée par les « American
Imperialists », « les Impérialistes Américains » et plus
particulièrement des bombardements. La télé est installée sur un mur en
hauteur ; ce dernier est peint de ruines fumantes, avec des lumières
tremblotantes, offrant une ambiance un peu too much.
Quant aux vitrines de la section,
elles contiennent les possessions des prisonniers américains détenus à Hoa
Lo : moustiquaire, vêtements chauds, pipe et blague à tabac…
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Vitrine dévolue à l'équipement de John McCain, une des stars des prisonniers du département |
L’exposition est basée sur le
contraste entre le sort imposé par les Etats-Unis aux vietnamiens, et
l’excellent traitement offert par le Vietnam à ses prisonniers américains. Dans
la deuxième salle, un texte rappelle que le gouvernement a tout fait pour
offrir les meilleures conditions de vie à ses prisonniers malgré les
difficultés économiques d’alors. Le second film, intitulé « Uninvited
Guests », « Invités non-invités/inattendus », s’attache
d’ailleurs à décrire la vie quotidienne des pilotes à Hoa Lo, et leur
libération, soutenu par un corpus de photographies : les pilotes en train
de fêter Noël, ou en train de faire du sport, les soins prodigués à l’hôpital,
les prières à l’église… Tout le monde est heureux, souriant, en bonne santé.
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Exemples de la liberté de culte accordée aux prisonniers |
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Les prisonniers en train de préparer le repas de Noël |
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Vitrine thème "comment passer le temps à Hoa Lo" |
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"American pilots translated poem Spring 1969 on New Year Festival of Ho Chi Minh President", "Les pilotes américains ont traduit le poème du président Ho Chi Minh Le printemps de 1969 au festival du Nouvel An" |
Il serait intéressant de
confronter cette version des faits à celles des pilotes américains qui ont vécu
l’expérience et écrit des mémoires.
Cette section se conclut sur la
reprise des relations américano-vietnamiennes dans les années 90, sous Bill
Clinton, puis sous Bush Jr., et la mise en place d’échanges économiques (des
photos de constructions de buildings par exemple).
La dernière séquence du musée
d’Hoa Lo est constituée de quelques salles, à l’étage au-dessus, où est rendu
hommage aux 1624 prisonniers faits par les français entre 1899 et 1954. Les
deux premières salles abritent des stèles couvertes de leurs noms.
Les
salles suivantes apportent un peu plus d’informations sur les méthodes de la
police secrète française, les réseaux clandestins indépendantistes et les
arrestations menées. Sont exposées des photographies des martyrs, des
témoignages, des lettres, des rapports des services secrets français sur les
organisations communistes, des listes de personnes à arrêter…
On retrouve la même scénographie
que dans l’exposition temporaire, avec des murs gris, peints de chaînes et
d’ombres aux poings levés.
***
Voilà un musée difficile à
apprécier : la scénographie est de qualité, les lieux assez bien mis en
valeur et entretenus, témoins d’un siècle d’histoire mouvementée, les
collections très intéressantes. Mais tout cela est mis au service d’un propos
biaisé, partial.
Nous parlons de sujets sensibles,
compliqués à traiter : colonisation, impérialisme, guerre, et le destin
d’un pays livré pendant plus d’un siècle à des étrangers qui n’auraient rien du
avoir à faire dans sa gestion. Je ne me sens donc pas la prétention de savoir
comment ils auraient du traiter le sujet, quel est le ton précis à employer,
mais je suis gênée par ce traitement trop subjectif. Fervente lectrice d’Howard
Zinn, et prête à critiquer l’impérialisme américain sous toutes ses formes, je
n’ai eu qu’une envie en sortant de là : lire les écrits des pilotes en
question, et voir comment eux ont vécu leur emprisonnement à Hoa Lo, comment ça
s’est « réellement » passé. Et ce n’est que pour la section
« Hanoi Hilton » ; les salles dédiées à la période française
sont également difficiles à encaisser quand on s’y promène en tant que touriste
français ; s’il faut reconnaître les horreurs commises au nom de la
colonisation afin d’avancer sainement dans l’avenir, le ton employé ici me
semble malheureusement plus accusateur qu’apaisant. Par ailleurs, dans
l’exposition à la gloire des écrivains communistes, le visiteur qui ne lit pas
le vietnamien est exclu du propos, puisqu’il ne peut apprécier les poèmes qui
sont le thème même du dispositif. Non, vraiment, le ton du musée ne me plaît
pas.
Ce qui est fort dommage, car le
potentiel est là, le bâtiment et ses collections sont très riches, et permettent
effectivement d’illustrer et raconter toute la tourmente qui a agité le Vietnam
de la fin du XIXe à la fin du XXe siècle. Un endroit à visiter, en gardant son
esprit critique en éveil.