6000 sums par personne, soit environ 1,80€/2$. Pas de droit
photographique à payer.
Ce musée, au message hautement
identitaire, est situé en face de la place de l’Indépendance et du Sénat, métro
Mustaqiliq Meydoni, en plein cœur de la capitale ouzbèke. Dans les guides, on
trouve souvent l’appellation « Musée des peuples de l’Ouzbékistan »,
mais sur la façade, il est intitulé plus sobrement « Musée
d’histoire ».
|
L'entrée du musée |
|
Le "menu" |
On y accède par un immense hall,
éclairé par un puits de lumière central, qui domine la grande cage d’escalier
qui emmène aux collections. Dans ce premier espace, on trouve la billetterie,
une boutique, une petite salle d’exposition temporaire, et un espace d’atelier
pour enfants plus tout jeune.
|
Vue depuis le premier étage |
|
Vue du hall d'entrée, dans l'autre sens |
|
L'espace pédagogique dans le hall du musée |
Dans la cage d’escalier, au goût
si ce n’est sûr, au moins appuyé – marbre du sol au plafond et fausses plantes
– une grande carte en relief de l’Ouzbékistan nous fait entrer dans le vif du
sujet. Sont disposées autour des colonnes en bois sculpté, en provenance des
grandes villes du pays (Samarkand, Boukhara…), à la forme si propre à
l’architecture locale (pas ou peu de chapiteau, renflée en bas, socle en
chapiteau retourné). Tous les cartels sont trilingues :
ouzbèke/russe/anglais (avec quelques fautes d’orthographe…), et minimalistes : nom/date/provenance.
De chaque coté de la cage
d’escalier, de grandes lettres dorées nous offrent une citation du président,
Islam Karimov, en anglais et en ouzbèke –
mais cette fois-ci, pas de traduction en russe.
|
L'omniprésence du président |
Montons cet escalier pour arriver
au premier étage. Les collections se déroulent chronologiquement, dans un grand
espace ouvert (il y a en fait très peu de mur dans le musée). L’ensemble est
climatisé, mais doux ; je n’ai pas vu de thermomètre, mais à vue de nez on
avoisinait les 23-24° (pour 32° dehors). On observe des caméras et des
détecteurs de fumée, ainsi que des gardiens, présents sans être oppressants
(voire laxistes ; j’ai ragé en voyant un touriste flasher plusieurs fois
de suite un plateau médiéval en marqueterie superbe, sans que ca fasse tiquer
le moins du monde la vigile).
Quelques vues de l'entrée des collections permanentes :
On commence donc par la
Préhistoire, avec quelques découvertes archéologiques locales, et des
mannequins datant des années 70 ; ces derniers sont au moins derrière des
vitres, et l’ensemble est beaucoup moins poussiéreux que ce à quoi on pourrait
s’attendre. Quelques très belles pièces, notamment une amulette aux serpents en
pierre noire, qui m’évoque, je ne sais pas trop pourquoi, les idoles à yeux de
Suse.
|
Parmi les objets préhistoriques emblématiques de l'Ouzbékistan, les pétroglyphes du désert du Kyzylkum |
|
L'amulette aux serpents |
Dans une vitrine, une tombe
reconstituée : de vrais os y sont exposés.
Le mobilier muséographique est assez neuf, et la plupart des vitrines est pourvue de serrures.
De nombreuses reconstitutions et
photos sont là pour aider à la compréhension : gravures, maquettes,
archéologie comparée à base de moulages… Malheureusement, les seuls textes et
cartels développés sont en ouzbèke.
|
Reconstitution d'un arc ; sur le cartel, il n'est pas précisé qu'il s'agit d'un objet moderne |
|
Un torque antique en bronze, symbole du pays, puisqu'il figure sur les billets de 100 sums, mais très peu mis en valeur dans le musée |
|
Le cartel, minimaliste, annonce : Statue of a woman warrior. |
La deuxième partie est consacrée
à l’Antiquité, avec l’arrivée des Grecs, du bouddhisme, des kushans… De très
belles pièces bouddhiques sont exposées, notamment les fragments du Bouddha de
Fayaztepa.
|
La section "antique" |
|
Les restes du Bouddha de Fayaztepa, surmonté d'un médaillon représentant une divinité solaire. |
Contre un mur, un stupa
reconstitué ; lui font face des fresques déposées, avec réintégration
non-illusionniste. L’ensemble témoigne de réels choix muséographiques,
cohérents et intéressants. On est moins séduit par des copies de fresques
bouddhiques assez kitsch sur certains murs, « pour l’ambiance ».
|
La section "bouddhique" |
|
Le stupa miniature |
|
Un bouddhisatva en stuc du IIIe siècle, également retrouvé à Fayaztepa |
|
La suite de l'espace consacré au bouddhisme et à la Basse Antiquité |
|
La Basse Antiquité |
|
Fragment d'une sculpture de Shri-Devi, originaire de la vallée du Ferghana, VIe-VIIe siècle |
En revanche, les fresques déposées du Red
Hall du palais Vitakshaya de Boukhara, datées du VIIe siècle, sont superbes. Là
aussi le choix est non-illusionniste, mais le résultat moins beau (je dis qu'elles sont superbes, puis que c'est moins beau... les oeuvres originelles sont bluffantes, le parti pris l'est moins) ; on a
l’impression d’un mélange de vraies fresques, de faux-vrai, et de vrai-faux…
très bizarre.
|
Détail d'une partie des fresques |
|
Ces panthères se retrouvent avec une drôle de touche... |
L’exposition se poursuit, avec le
Haut Moyen Âge et l’arrivée de l’Islam. Des vitrines éparses exposent un peu de
tout : céramique, matériel d’écriture, copie du Coran, vaisselle
précieuse… mais aussi des peintures au goût discutable qui se veulent
historiques.
Des éléments architecturaux sont
assez bien présentés, avec des fragments de colonnes sur des socles dont la
forme rappelle la réalité, tout en restant neutre.
En revanche, des vitrines de
vaisselles décorées de tissus tendus à la va-vite portent atteinte à la
conservation préventive des expôts.
|
A gauche, une des vitrines de vaisselle, à droite, la présentation des colonnes ouvragées |
Le point d’orgue de l’étage est
la section consacrée à Tamerlan, ou plutôt Timur Leng, le grand conquérant,
l’âge d’or et la Renaissance du pays ; si la mise en scène est grandiose,
les collections sont un chouïa décevantes…
La moitié de l’espace est
consacré à une peinture murale (neuve), représentant Tamerlan au centre,
conquérant sur son cheval, entouré de grands personnages du pays (Ouloug
Bek, Al-Khorezmi ou Avicenne par exemple - n'en déplaise aux anachronismes) et d’une délégation de marchands européens et
vénitiens arrivés par la Route de la Soie.
|
La peinture murale occupe autant d'espace que les quelques vitrines d'art timuride (en dehors de la photo, à droite) |
|
Tamerlan sur son destrier |
Devant, une belle et grande
maquette du mausolée de Bibi Khanum de Samarkand, et une plus modeste de l’observatoire
d’Ouloug Bek.
Parmi les quelques beaux exemples
de l’artisanat timouride, on note une superbe hache à double lame.
|
Les timourides étaient après tout réputés pour être bien armés |
|
Le kit complet du parfait petit conquérant |
En face de cette section, de
grands canapés et une immense télé constituent un espace… de repos puisque la
télé est éteinte. Comme les 6 ou 7 autres que nous croisons dans le musée.On se console en se disant que de toutes façons, les films auraient été en ouzbèke.
Enfin, la dernière séquence de
l’étage est consacrée aux temps modernes, du XVIe au XIXe siècle, avec des
mannequins en costume, des selles, des armes, des monnaies… Un grand métier à
tisser dans un coin rappelle l’importance croissante du coton dans l’économie
locale, jusqu’aux abus du XXe siècle. Il est d’ailleurs entouré du seul
dispositif de mise à distance que j’ai noté dans le musée (ne nous affolons
pas ; ce n’est jamais qu’une vieille corde).
|
Différents costumes traditionnels |
|
Les tissus qui firent la renommée de la route de la Soie |
|
Ce rouleau enluminé du XIXe siècle est un contrat de donation de terres par un noble local afin d'y construire une medersa. Nos notaires ont beaucoup à apprendre en terme d'ornement de contrats. |
|
Le couvre-chef est un élément essentiel du costume ouzbèke, et de l'identité de son porteur. |
Des parures fabuleuses laissent
imaginer les tenues traditionnelles des mariées ouzbèkes.
Nous nous interrogeons par contre
devant une vitrine pourvue de stickers verts, en forme de minaret et de dôme,
qui gênent la vue, mais sans sembler nourrir le propos… nous n’en saurons pas
plus sur leur présence.
|
La vitrine qui laisse perplexe |
Montons maintenant au deuxième étage,
consacré aux XXe et XXIe siècles, section qui prend bien moins de temps à
visiter, puisqu’elle est constituée en grande partie de textes… en ouzbèke. La
propagande y est également bien plus présente qu’au 1er étage, qui
ressemble finalement à un musée d’histoire classique. A cet étage, la
construction de l’identité nationale et la mise en valeur du régime actuel sont
assez présentes.
La première séquence concerne l’arrivée
de la Russie, de la conquête dans les années 1860, à la mise en place du régime
soviétique, en passant par les révoltes locales et ses inévitables martyrs. Je
note avec étonnement un panneau qui interdit les photographies dans le musée…
première nouvelle. Ca n’a pourtant pas l’air de gêner le personnel.
On est encore accueilli par une
peinture murale « historique », par le même « artiste » que
celui qui a peint Tamerlan à l’étage précédent.
|
Iconographiquement, c'est riche ! |
Une partie de l’exposition met en
exergue la révolution anti-russe de 1916, dans un style qui rappelle le Musée
de la Révolution de Cuba : objets personnels et vêtements portés par les
révolutionnaires, lettres manuscrites, souvenirs de prison, armes
rudimentaires, et portraits photos de jeunes filles ou de vieillards
emprisonnés… Beaucoup de belles photographies, assez poignantes, pour la période
1916-1920, par exemple la destruction de Boukhara par l’Armée Rouge.
|
Une première révolution faite à coup de machette... |
|
Parmi les curiosités de la section, des programmes de théâtre imprimés sur de la soie |
|
Des armes de l'insurrection de 1920, déjà plus modernes |
|
Photo du procès des révoltés anti-soviétiques de la vallée du Ferghana en 1920. En voyant le visage de ces hommes, on a du mal à s'empêcher de penser au funeste sort qui a suivi la prise de la photo... |
|
Vue générale de cette première séquence du deuxième étage |
On passe ensuite à la Seconde
Guerre Mondiale et l’histoire du pays jusqu’à l’indépendance : révolution
industrielle, construction de monuments publics majeurs, portraits d’hommes d’Etat,
de poètes, d’écrivains… le tout en ouzbèke, encore une fois, donc difficile à
suivre. Une petite section rappelle brièvement le désastre de la mer d’Aral.
|
Un des plus grands drames écologiques du XXe siècle, et un désastre pour le pays |
|
Illustration synthétique du sort des habitants de la région de Moynaq |
La seconde moitié de l’étage est
consacrée à l’indépendance, en 1993, et l’histoire récente de ce jeune pays. Là
encore de grandes télés ont surement des choses à nous dire, mais sont
éteintes. Les vitrines regorgent de médailles, de lois, de passeports, de
photos de bâtiments récents, comme la mairie de Tashkent, autant de symboles de
l’identité nationale toute neuve.
|
Nouvelles frontières pour un nouveau pays |
|
L'identité nationale revêt de nombreuses formes : passeport, monnaie, bâtiments publics |
Les expôts sont extrêmement variés (avec un
petit coté bric-à-brac) ; une vitrine est par exemple consacrée aux doyens
du pays, avec des photos de centenaires entourés de leurs petits-enfants. La vitrine suivante rappelle les attentats
terroristes qui ont secoué le pays en 1999, entraînant une martialisation de la
société, avec des photos de victimes, ou des armes confisquées. Je m’interroge
sur le bien-fondé d’exposer des détonateurs artisanaux (à base de montres et de
fils électriques), des grenades et des bâtons de dynamite. On peut désamorcer
une arme, mais la dynamite ?
|
Les armes illustrant le démantèlement des cellules terroristes en 2001 |
|
Petite piqure de rappel de l'attaque sur "Nyu-York" |
Une autre vitrine montre des
photographies du président Karimov avec divers hommes d’état (comme Poutine ou
Bush), et les logos des différentes ONG ayant travaillé dans le pays ; une
exposition un peu ironique puisque le « président » les a
consciencieusement expulsées depuis 2005.
Enfin, la dernière galerie est
consacrée à l’économie et l’industrie actuelles du pays, mettant en valeur les
richesses ouzbèkes : coton, pétrole, blé, huile, et sa
modernisation : une vitrine est garnie de cartes VISA tandis qu’une autre
expose les produits des laboratoires pharmaceutiques nationaux.
|
La vitrine des cartes bleues : un brin étonnant |
|
... alors que dire de la vitrine station-service ? |
|
La section "progrès et industrie" |
|
Le coton : la manne infernale du pays |
Ces deux dernières sections sont
à la fois intéressantes et un peu anxiogènes ; on en garde un arrière-goût
un peu amer au regard de la dureté du régime actuel. Un bel exemple
d’instrumentalisation de l’espace muséal au service du message gouvernemental.
Heureusement, les trois premiers quarts de l’exposition semblent plus neutres
et réellement historiques.
A mon humble avis, ce musée
mérite amplement la visite, malgré ces quelques points noirs. Déjà pour la
qualité de ses collections, et pour une belle exposition historique ; et
soyons honnêtes, en apprendre un peu sur l’histoire ouzbèke ne fait pas de mal,
on n’a pas vraiment l’habitude d’en parler et de le potasser à l’école,
ethnocentrés que nous sommes. A part peut-être Tamerlan ; qu’on connaît
quand même sous un nom francisé et pas sous son nom vernaculaire…
Mais aussi parce qu’il est
toujours intéressant de constater le rôle édifiant que peut avoir un musée
d’histoire ; comme des objets qui nous paraissent anodins (une carte bleue
par exemple) peuvent véhiculer un message fort dans un autre pays. Et comme on
peut détourner la mission d’éducation de l’institution muséale pour en faire un
outil de propagande. A condition de savoir garder du recul.
En bref, un musée mi-figue
mi-raisin, avec des collections et des installations de qualité, bien qu’un
poil vieillottes, des choix muséographiques réfléchis, bien que parfois
discutables, voire propagandistes.
Liens utiles :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire