50 roupies par personne,
photographie interdite.
Le palais de Matancherry, du nom
du quartier où il est installé, sur la même presqu’île que Fort-Cochin, est
aussi appelé « Palais Hollandais ». Chose amusante, puisqu’il fut en
réalité édifié en 1555 par les Portugais, premiers occidentaux arrivés dans la
région, comme cadeau pour le raja de Cochin, Veera Kerala Varma. Son surnom est
en fait du à la restauration assumée par les hollandais en 1663. Malgré ces
origines occidentales, le palais est construit dans le style indo-kéralais,
avec ses belles charpentes travaillées, de magnifiques plafonds à caissons
peints et ses toits rappelant les pagodes chinoises.
Le musée qu’il abrite est dédié à
l’histoire de la famille royale de Cochin, à travers des collections
éclectiques, allant de la cinquedea au palanquin, en passant par la
traditionnelle galerie de portraits.
L'entrée du musée
Dès l’entrée, nous remarquons
l’insistance du personnel du musée quant à l’interdiction de prendre des
photographies. Souvent en Inde, quand la photographie est interdite (ce qui est
courant, entre les temples et les très nombreux musées et monuments qui n’en
veulent pas non plus), on ne vous laisse même pas rentrer avec votre appareil,
qu’il faut déposer à la consigne. Heureusement ici, même s’il vous couve de
regards inquiets, le personnel est assez nombreux pour vous surveiller, et vous
permettre de vous promener avec la machine, tant qu’elle reste bien enfermée
dans sa sacoche. En avançant dans le musée, la signalétique est très présente
« No photography » et « Don’t touch the objects » sont
présents dans toutes les salles.
Détail de l'escalier d'accès au musée
La récurrence de cette
interdiction photographique, et la diligence du personnel à la faire respecter
(nous avons vu des visiteurs indiens se faire contrôler les cartes mémoires,
TOUTES les cartes mémoires, ainsi que les téléphones portables, pendant de
longues minutes, par les gardiens, dans ce musée, sur une simple suspicion de
photo subreptice) me fait m’interroger sur ses raisons.
J’ai du mal à croire qu’il
s’agisse uniquement de mesures de conservation ; dans ce cas précis, le
palais de Matancherry abrite de magnifiques peintures murales du XVIe siècle,
que les flashs répétés des visiteurs mettraient bien à mal. Cependant, le
manque évident de soins quant à la conservation des collections dans ce musée
contredit l’idée que l’interdiction de prendre des photos vise à les
sauvegarder.
S’agit-il alors d’une questions
de droits ? Nous sommes là dans un musée public, sous la direction de
l’Archeological Survey of India, mais je ne suis pas assez renseignée
concernant les droits privés et publics en Inde ; d’ailleurs, si quelqu’un
mieux renseigné que moi sur le sujet passe par ici, qu’il/elle n’hésite pas à
m’en parler !
Finalement, j’ai envie de pencher
pour la raison tout simplement mercantile, qui permet au musée de vendre plus
de cartes postales en empêchant les visiteurs de faire leurs propres photos des
œuvres ; mais dans ce cas-là, pourquoi ne pas faire payer le droit
photographique, comme de nombreux autres musées et monuments indiens, qui y
trouvent une grasse source de revenus (pouvant aller jusqu’à faire payer 500
roupies le droit de filmer pour un étranger, soit une assez belle somme pour
ici) ?
Après une petite recherche
infructueuse sur le net pour trouver quelques photos à vous montrer de
l’intérieur du palais, et au moins de ses fameuses peintures, j’en conclus que
décidément, les gardiens font bien leur travail…
Première galerie
Très belle, tout en bois, vernis
ou peint, cette galerie expose chaises et palanquins de la famille royale.
Certains sont tellement petits que nous avons du mal à croire qu’un humain
puisse y rentrer. Depuis, nous avons vu des films en costume utilisant ce type
d’objets, et avons constaté que c’était possible !
Tout le long de la galerie, de
nombreux sièges permettent (déjà !) de se reposer en admirant les objets
et le palais. Ici, nous admirons surtout les dispositifs de mise à distance,
beaucoup trop nombreux ; les palanquins sont non seulement protégés par
des cordons, marqués des mots « Archeological Survey of India », mais
aussi par des grandes plaques de plexiglas, abîmées, sales, et pleines de
reflets. Dommage. Je ne reviens pas sur les nombreux panneaux rappelant
l’interdiction de prendre des photos, qui eux aussi gâchent un peu le
spectacle. Autre petit problème relevé en remontant la galerie vers la suite de
la visite ; en marchant sur le plancher, on fait trembler le sol, dont les
vibrations se répercutent dans les palanquins et les chaises à porteurs.
Juste avant de sortir de la
galerie, je note au-dessus de la porte une caméra de sécurité, orientée de
manière à filmer l’intégralité de la pièce. Comme toujours, je me demande si
elle est réellement en fonction, ou juste là pour faire joli.
Deuxième salle
De très belles peintures murales
du XVIIe siècle représentant des épisodes du Ramayana décorent cette seconde
salle. Elles ont apparemment fait l’objet de restaurations, au parti-pris
illusionniste ; elles sont repérables à la différence de vernis employé,
et une très légère nuance dans les couleurs.
Là où les peintures n’étaient pas
récupérables, un enduit blanc les remplace.
Des cartels, écrits à la main sur
des plaquettes de bois, sont posés sur le sol.
La salle est dotée de très belles
portes anciennes, malheureusement pourvues de loquets modernes, qui, s’ils
renforcent la sécurité des lieux, défigurent leurs supports.
Troisième salle
Cette « galerie
hollandaise » retrace l’histoire de l’occupation néerlandaise à Cochin, à
travers des timbres, des dessins, des plans, et de grands panneaux explicatifs.
Les vitrines destinées aux
timbres sont relativement neuves ; mais le fond est fait de plastique à
paillettes. Si l’on peut saluer l’originalité de la chose, on ne s’interrogera
pas longtemps sur la raison de sa rareté dans les vitrines de musées.
Les arts graphiques exposés dans
la pièce sont très abîmés, non seulement par l’absence de contrôle
atmosphérique du musée, mais surtout par la lumière du soleil, qui vient
parfois toucher directement les œuvres. Cette dernière est complétée par un
éclairage au néon qui s’accorde assez mal avec les boiseries et les peintures
murales du Siècle d’Or.
Par exemple, une grande carte de la côte de Malabar, de 1687,
est devenue entièrement illisible.
De plus, les cadres sont souvent
inadaptés, trop grands, trop petits, ou tout simplement trop vieux. Autre
observation troublante, un cartel collé directement sur une gravure. Certains
cartels sont traduits en anglais, mais pas la totalité.
Comme dans la plupart des musées
indiens, une section numismatique rend hommage à cette passion intemporelle du
pays.
Quatrième salle
Ici commence la Kerala History
Gallery, qui court sur plusieurs salles, et constitue l’exposition majeure du
musée. A première vue, il s’agit d’une grande exposition en cartons retraçant
l’histoire de la famille royale locale, parallèlement à celle du Kérala (ou
l’inverse). Premier bon point, cette exposition est trilingue : hindi,
tamoul et anglais. On note là une réelle volonté d’être lu par un maximum de
visiteurs. Des cartels uniquement en tamoul ne touchent que les indiens du
sud ; les touristes venus d’Inde du nord sont aussi désarmés devant le
tamoul que n’importe quel touriste international. Proposer cette version
trilingue garantit d’être compris par tous les Indiens (ou presque, mais si on
part dans le détail des quelques 300 langues parlées dans le pays, on va être
bien embêtés), et de toucher le plus de touristes étrangers possible.
Le mauvais coté de l’exposition,
comme nous venons de le dire, c’est qu’elle est en carton. Il est difficile de
s’accrocher, de tout lire, notamment les listes généalogiques royales.
Ironiquement, c’est dans cette
section que j’observe des ventilateurs dans les salles, là où il n’y a pas
d’expôts à préserver.
Pendant notre visite passe une
femme, apparemment du personnel du musée, avec un plateau de chai. La
traditionnelle pause thé est donc tellement importante qu’on se permet de la
prendre dans le musée ; je retrouve le plateau et ses tasses vides
quelques salles plus loin, sur un banc XVIIIe siècle, entre deux portraits de
rajas. Je connais quelques préventistes qui trouveraient à redire à la
consommation de boissons dans les salles…
A la fin de l’exposition en
cartons, un panneau explique la restauration du palais et la mise en place du
musée. Je suis comme toujours ravie qu’on communique sur les coulisses du
patrimoine ; des photos montrent par exemple la restauration des parquets
de la première galerie, ou des détails
des peintures murales en cours d’études par les restaurateurs. Il est bien
dommage de voir que les efforts prodigués à l’époque risquent d’être ruinés par
le manque de continuité dans la politique de conservation.
Galerie des rajas
La fin de la
« zone-carton » c’est aussi le retour des objets.
Dans cette galerie sont exposés
sur les cotés les portraits en pied de tous les rajas de Cochin, dans un style
clairement influencé par les portraits européens du XVIIe siècle. Encore
beaucoup de textes explicatifs, pas toujours digestes, mais intéressants.
Au milieu de la salle sont
disposés des effets personnels des rajas. Nous nous attardons pour admirer un
superbe palanquin en ivoire, daté du
XVIIIe siècle, dont les coussins sont soigneusement emballés dans du plastique,
tels une banquette de rickshaw*. J’essaie d’éviter de penser aux conséquences
de cet emballage durant la mousson.
Dans cette même galerie, où des
banquettes permettent de se reposer un peu en admirant les tableaux, nous
observons également le comportement des visiteurs. Nous voyons passer de
nombreux groupes d’indiens, dont les caractéristiques sont les suivantes :
les enfants sont lâchés et courent dans tous les sens, et les adultes sont à peine
plus calmes. Toucher les objets semble très important, et nous voyons beaucoup
de gens toucher les œuvres, d’un simple doigt négligent sur un cadre à des
coups violents sur une sculpture. Le téléphone portable, devenu un élément
essentiel de la vie quotidienne, est loin d’être banni du musée, et beaucoup de
visiteurs téléphonent. D’autres s’en servent pour prendre des photos, à leurs
dépens étant donnés l’efficacité, voire l’acharnement, des gardiens à faire
respecter la consigne de l’interdiction photographique.
Je tiens à préciser que j’aimerais
que ces commentaires sur le comportement des indiens ne soient pas mal
pris ; ils sont basés sur l’observation des visiteurs, non seulement dans
ce palais, mais dans de nombreux autres musées, monuments, temples, etc. Nous
avons évidemment aussi vus beaucoup de gens se comporter de manière tout à fait
appropriée et respectueuse ; mais de manière générale, nous avons été
assez choqués par l’attitude adoptée, notamment le besoin compulsif de toucher
les objets, et de taper dessus, geste très fréquent dont nous n’avons pas
encore appris la signification. Chaque peuple, même si la généralisation est un
piège, a ses travers, et je me permets d’en pointer quelques-uns du doigt, dans
un but uniquement instructif, et dans un souci d’améliorer les conditions
muséologiques que nous observons dans le monde. Chaque élève ou diplômé de
l’Ecole du Louvre pourra d’ailleurs vous raconter ce qu’il a observé des
habitudes de visites des japonais, des espagnols ou des américains… Je vous
remercie donc par avance de ne pas prendre ombrage de mes propos, et de voir le
bon coté des choses !
Pour revenir aux conditions
d’exposition, de nombreux extincteurs sont disposés dans la salle. Dans cette
galerie, l’éclairage des tableaux, plutôt réussi, est assuré par des LED qui
semblent neufs. Quelques vitrines sont neuves elles aussi.
Par contre, il y a un gros
problème de ventilation ; certains des ventilateurs datent à vue de nez
des années 1950, beaucoup ne marchent pas, et il fait très chaud.
Le symbole de la famille royale de Travancore, sur le pignon du palais
Salle d’armes
Un palais indien ne serait pas
complet sans la collection d’armes de sa famille royale ; elle n’est pas
immense mais de qualité, notamment une belle épée curvilinéaire appelée Vala, ou une série de Cinquedea.
En vis-à-vis, des panneaux explicatifs
retracent l’histoire du kalaripayat, l’art martial traditionnel kéralais.
Salle royale
Cette salle expose des vêtements
(différentes tenues pour les différentes occasions), du matériel liturgique
(encensoir, aiguière…), des éléments de batterie de cuisine, ou encore du
matériel de toilette. Sur des panneaux explicatifs sont montrés les régalia des
rajas de Cochin.
Après un tour de la salle, je
m’interroge sur la cohérence des expôts entre eux. Mon mari me propose comme
explication que tous les objets exposés proviennent du palais et sont regroupés
ici à ce titre. Certains des éléments de cuisine ont été offerts par des
associations locales, et semblent illustrer la vie quotidienne de Cochin.
De belles photos datant d’entre
1880 et 1920 montrent les membres de la famille royale portant les différentes
tenues traditionnelles, dont certaines sont exposées. La contextualisation par
les photographies rend la visite agréable et didactique.
Salles des peintures murales
Ce sont les deux dernières salles
de la visite, avant de revenir à la première galerie, puisque le musée fait une
boucle, occupant tout l’étage de ce bâtiment de forme carrée.
Dans la première salle, une
magnifique peinture de Visnu en posture royale, une iconographie appelée Thripunithara Appan ; elle est très
restaurée, mais dégage beaucoup de puissance. Sur un autre mur, des sinopies
témoignent de peintures murales jamais exécutées.
Visnu en posture de délassement royal, du site ssubbanna.sulekha.com , qui présente d'autres photos de peintures murales kéralaises.
La deuxième salle, bien mieux
conservée, est recouverte du sol au plafond de magnifiques peintures, complétées
par de très beaux linteaux de portes.
Liens utiles
* Aussi appelés tuk-tuk, petit
taxi sur un moteur de scooter, le moyen de déplacement urbain privilégié en
Inde et consorts.