Kaléidoscope de musées et monuments de par le monde, entre muséologie comparée et tourisme iconographique.

dimanche 12 août 2012

Musée de la peinture murale, La Havane, Cuba



La  façade du musée, sur la Calle Obispo


Dans la vieille ville de la Havane, ce ne sont pas les musées qui manquent ; musées publics, musées privés, dédiés aux vieux livres, aux cartes à jouer, aux nombreux vestiges archéologiques de la colonisation espagnole, ou aux traditions entourant les cigares, pour n’en citer que quelques-uns. En plein cœur de ce quartier historique, dans une des superbes maisons coloniales inspirées des palais espagnols, est sis le Musée de la peinture murale. Ce musée public est dédié aux fresques du XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles qui ornaient les demeures des riches havanais. 


Comme vous l’avez deviné, le cadre est magnifique. La maison est plutôt bien restaurée, et s’organise autour d’une cour intérieure, avec puits et fleurs luxuriantes. Si l’on peut s’interroger sur la pertinence de la présence de plantes au sein d’un musée, on apprécie la fraîcheur de ce petit jardin, qui apporte un calme bienvenu au cours d’une promenade touristique habituellement mouvementée. La mise en valeur d’un élément architectural de la vieille Havane est d’autant plus appréciable que nombreuses sont les belles maisons qui tombent en ruine, bien que le gouvernement fasse des efforts pour restaurer et mettre en valeur certains bâtiments. 

La cour intérieure
 
Les collections sont donc constituées de fragments de fresques, déposées ou retrouvées au cours de fouilles. La chronologie que j’annonçais dans le premier chapitre est relativement optimiste ; si les plus vieux expôts remontent aux XVIIe et XVIIIe siècles, la majorité des collections date du XIXe siècle. Et soyons francs, ce n’est pas transcendental ; cependant, la présentation est agréable, et les cartels, bien qu’en espagnol uniquement, sont plutôt riches. Les restaurateurs ont pris le parti d’une réintégration non-illusionniste.
Des panneaux proposent une contextualisation des œuvres et des reconstitutions de décors complets. Au mur sont proposées des explications sur la stratigraphie et les techniques de fouilles ou de restauration. Leur niveau est assez élevé. Parmi ces affichages, on apprend que le bâtiment est en cours de restauration. Une dernière pièce abrite des explications techniques sur la fresque. Les panneaux sont bien faits, et soutenus par une documentation photographique riche.
Les fresques sont installées à l’intérieur de la maison, qui n’est pas climatisée. Le mobilier n’est pas de première fraîcheur, mais remplit son office.
A l’étage, une galerie couverte entoure le jardin en contrebas. Y est présentée une collection lapidaire issue de fouilles archéologiques, mise en parallèle avec les décors peints exposés dans la maison. Les emplacements d’origine des objets sont indiqués sur un plan de la ville.

En somme, un musée très agréable, notamment grâce au cadre, et à une médiation riche, malgré des collections qui ne sont pas exceptionnelles. Les deux points noirs selon moi : les textes uniquement en espagnol, d’autant plus dommage qu’ils sont de qualité, et l’agent de surveillance qui nous a suivis à la trace d’un air suspicieux. Cependant, nous avons appris au cours de nos visites de musées cubains que c’est un classique ; les vigiles y sont nombreux, et généralement consciencieux.

Liens utiles :
Le lien vers le Musée de la peinture murale sur le portail du "Bureau historique de la ville de La Havane"

Retour sur le web


Entre le retour en France, l'ordinateur grillé par la température de l'été tamoul, et le climat qui est plutôt aux vacances ici, Le Musée Vivant s'est offert deux mois de calme... Les publications reprennent, et pour varier les plaisirs, on va aller faire un tour dans les musées cubains, en espérant que ce changement d'air vous plaira ; mais on a encore plein de choses à vous dire sur l'Inde !

Au plaisir de vous retrouver !

vendredi 15 juin 2012

Palais de Mattancherry, Cochin, Inde


50 roupies par personne, photographie interdite.


Le palais de Matancherry, du nom du quartier où il est installé, sur la même presqu’île que Fort-Cochin, est aussi appelé « Palais Hollandais ». Chose amusante, puisqu’il fut en réalité édifié en 1555 par les Portugais, premiers occidentaux arrivés dans la région, comme cadeau pour le raja de Cochin, Veera Kerala Varma. Son surnom est en fait du à la restauration assumée par les hollandais en 1663. Malgré ces origines occidentales, le palais est construit dans le style indo-kéralais, avec ses belles charpentes travaillées, de magnifiques plafonds à caissons peints et ses toits rappelant les pagodes chinoises.
Le musée qu’il abrite est dédié à l’histoire de la famille royale de Cochin, à travers des collections éclectiques, allant de la cinquedea au palanquin, en passant par la traditionnelle galerie de portraits.

L'entrée du musée

Dès l’entrée, nous remarquons l’insistance du personnel du musée quant à l’interdiction de prendre des photographies. Souvent en Inde, quand la photographie est interdite (ce qui est courant, entre les temples et les très nombreux musées et monuments qui n’en veulent pas non plus), on ne vous laisse même pas rentrer avec votre appareil, qu’il faut déposer à la consigne. Heureusement ici, même s’il vous couve de regards inquiets, le personnel est assez nombreux pour vous surveiller, et vous permettre de vous promener avec la machine, tant qu’elle reste bien enfermée dans sa sacoche. En avançant dans le musée, la signalétique est très présente « No photography » et « Don’t touch the objects » sont présents dans toutes les salles.

 Détail de l'escalier d'accès au musée

La récurrence de cette interdiction photographique, et la diligence du personnel à la faire respecter (nous avons vu des visiteurs indiens se faire contrôler les cartes mémoires, TOUTES les cartes mémoires, ainsi que les téléphones portables, pendant de longues minutes, par les gardiens, dans ce musée, sur une simple suspicion de photo subreptice) me fait m’interroger sur ses raisons.
J’ai du mal à croire qu’il s’agisse uniquement de mesures de conservation ; dans ce cas précis, le palais de Matancherry abrite de magnifiques peintures murales du XVIe siècle, que les flashs répétés des visiteurs mettraient bien à mal. Cependant, le manque évident de soins quant à la conservation des collections dans ce musée contredit l’idée que l’interdiction de prendre des photos vise à les sauvegarder.
S’agit-il alors d’une questions de droits ? Nous sommes là dans un musée public, sous la direction de l’Archeological Survey of India, mais je ne suis pas assez renseignée concernant les droits privés et publics en Inde ; d’ailleurs, si quelqu’un mieux renseigné que moi sur le sujet passe par ici, qu’il/elle n’hésite pas à m’en parler !
Finalement, j’ai envie de pencher pour la raison tout simplement mercantile, qui permet au musée de vendre plus de cartes postales en empêchant les visiteurs de faire leurs propres photos des œuvres ; mais dans ce cas-là, pourquoi ne pas faire payer le droit photographique, comme de nombreux autres musées et monuments indiens, qui y trouvent une grasse source de revenus (pouvant aller jusqu’à faire payer 500 roupies le droit de filmer pour un étranger, soit une assez belle somme pour ici) ?
Après une petite recherche infructueuse sur le net pour trouver quelques photos à vous montrer de l’intérieur du palais, et au moins de ses fameuses peintures, j’en conclus que décidément, les gardiens font bien leur travail…

Première galerie
Très belle, tout en bois, vernis ou peint, cette galerie expose chaises et palanquins de la famille royale. Certains sont tellement petits que nous avons du mal à croire qu’un humain puisse y rentrer. Depuis, nous avons vu des films en costume utilisant ce type d’objets, et avons constaté que c’était possible !
Tout le long de la galerie, de nombreux sièges permettent (déjà !) de se reposer en admirant les objets et le palais. Ici, nous admirons surtout les dispositifs de mise à distance, beaucoup trop nombreux ; les palanquins sont non seulement protégés par des cordons, marqués des mots « Archeological Survey of India », mais aussi par des grandes plaques de plexiglas, abîmées, sales, et pleines de reflets. Dommage. Je ne reviens pas sur les nombreux panneaux rappelant l’interdiction de prendre des photos, qui eux aussi gâchent un peu le spectacle. Autre petit problème relevé en remontant la galerie vers la suite de la visite ; en marchant sur le plancher, on fait trembler le sol, dont les vibrations se répercutent dans les palanquins et les chaises à porteurs.
Juste avant de sortir de la galerie, je note au-dessus de la porte une caméra de sécurité, orientée de manière à filmer l’intégralité de la pièce. Comme toujours, je me demande si elle est réellement en fonction, ou juste là pour faire joli.

Deuxième salle
De très belles peintures murales du XVIIe siècle représentant des épisodes du Ramayana décorent cette seconde salle. Elles ont apparemment fait l’objet de restaurations, au parti-pris illusionniste ; elles sont repérables à la différence de vernis employé, et une très légère nuance dans les couleurs.
Là où les peintures n’étaient pas récupérables, un enduit blanc les remplace.
Des cartels, écrits à la main sur des plaquettes de bois, sont posés sur le sol.
La salle est dotée de très belles portes anciennes, malheureusement pourvues de loquets modernes, qui, s’ils renforcent la sécurité des lieux, défigurent leurs supports.

Photo d'une des peintures du Ramayana, trouvée sur le site Hindu Existence
 
Troisième salle
Cette « galerie hollandaise » retrace l’histoire de l’occupation néerlandaise à Cochin, à travers des timbres, des dessins, des plans, et de grands panneaux explicatifs.
Les vitrines destinées aux timbres sont relativement neuves ; mais le fond est fait de plastique à paillettes. Si l’on peut saluer l’originalité de la chose, on ne s’interrogera pas longtemps sur la raison de sa rareté dans les vitrines de musées.
Les arts graphiques exposés dans la pièce sont très abîmés, non seulement par l’absence de contrôle atmosphérique du musée, mais surtout par la lumière du soleil, qui vient parfois toucher directement les œuvres. Cette dernière est complétée par un éclairage au néon qui s’accorde assez mal avec les boiseries et les peintures murales du Siècle d’Or.
Par exemple, une grande carte de la côte de Malabar, de 1687, est devenue entièrement illisible.
De plus, les cadres sont souvent inadaptés, trop grands, trop petits, ou tout simplement trop vieux. Autre observation troublante, un cartel collé directement sur une gravure. Certains cartels sont traduits en anglais, mais pas la totalité.
Comme dans la plupart des musées indiens, une section numismatique rend hommage à cette passion intemporelle du pays.

Quatrième salle
Ici commence la Kerala History Gallery, qui court sur plusieurs salles, et constitue l’exposition majeure du musée. A première vue, il s’agit d’une grande exposition en cartons retraçant l’histoire de la famille royale locale, parallèlement à celle du Kérala (ou l’inverse). Premier bon point, cette exposition est trilingue : hindi, tamoul et anglais. On note là une réelle volonté d’être lu par un maximum de visiteurs. Des cartels uniquement en tamoul ne touchent que les indiens du sud ; les touristes venus d’Inde du nord sont aussi désarmés devant le tamoul que n’importe quel touriste international. Proposer cette version trilingue garantit d’être compris par tous les Indiens (ou presque, mais si on part dans le détail des quelques 300 langues parlées dans le pays, on va être bien embêtés), et de toucher le plus de touristes étrangers possible.
Le mauvais coté de l’exposition, comme nous venons de le dire, c’est qu’elle est en carton. Il est difficile de s’accrocher, de tout lire, notamment les listes généalogiques royales.
Ironiquement, c’est dans cette section que j’observe des ventilateurs dans les salles, là où il n’y a pas d’expôts à préserver.
Pendant notre visite passe une femme, apparemment du personnel du musée, avec un plateau de chai. La traditionnelle pause thé est donc tellement importante qu’on se permet de la prendre dans le musée ; je retrouve le plateau et ses tasses vides quelques salles plus loin, sur un banc XVIIIe siècle, entre deux portraits de rajas. Je connais quelques préventistes qui trouveraient à redire à la consommation de boissons dans les salles…

A la fin de l’exposition en cartons, un panneau explique la restauration du palais et la mise en place du musée. Je suis comme toujours ravie qu’on communique sur les coulisses du patrimoine ; des photos montrent par exemple la restauration des parquets de la première  galerie, ou des détails des peintures murales en cours d’études par les restaurateurs. Il est bien dommage de voir que les efforts prodigués à l’époque risquent d’être ruinés par le manque de continuité dans la politique de conservation.

Galerie des rajas
La fin de la « zone-carton » c’est aussi le retour des objets.
Dans cette galerie sont exposés sur les cotés les portraits en pied de tous les rajas de Cochin, dans un style clairement influencé par les portraits européens du XVIIe siècle. Encore beaucoup de textes explicatifs, pas toujours digestes, mais intéressants.
Au milieu de la salle sont disposés des effets personnels des rajas. Nous nous attardons pour admirer un superbe palanquin en ivoire, daté du XVIIIe siècle, dont les coussins sont soigneusement emballés dans du plastique, tels une banquette de rickshaw*. J’essaie d’éviter de penser aux conséquences de cet emballage durant la mousson.
Dans cette même galerie, où des banquettes permettent de se reposer un peu en admirant les tableaux, nous observons également le comportement des visiteurs. Nous voyons passer de nombreux groupes d’indiens, dont les caractéristiques sont les suivantes : les enfants sont lâchés et courent dans tous les sens, et les adultes sont à peine plus calmes. Toucher les objets semble très important, et nous voyons beaucoup de gens toucher les œuvres, d’un simple doigt négligent sur un cadre à des coups violents sur une sculpture. Le téléphone portable, devenu un élément essentiel de la vie quotidienne, est loin d’être banni du musée, et beaucoup de visiteurs téléphonent. D’autres s’en servent pour prendre des photos, à leurs dépens étant donnés l’efficacité, voire l’acharnement, des gardiens à faire respecter la consigne de l’interdiction photographique.
Je tiens à préciser que j’aimerais que ces commentaires sur le comportement des indiens ne soient pas mal pris ; ils sont basés sur l’observation des visiteurs, non seulement dans ce palais, mais dans de nombreux autres musées, monuments, temples, etc. Nous avons évidemment aussi vus beaucoup de gens se comporter de manière tout à fait appropriée et respectueuse ; mais de manière générale, nous avons été assez choqués par l’attitude adoptée, notamment le besoin compulsif de toucher les objets, et de taper dessus, geste très fréquent dont nous n’avons pas encore appris la signification. Chaque peuple, même si la généralisation est un piège, a ses travers, et je me permets d’en pointer quelques-uns du doigt, dans un but uniquement instructif, et dans un souci d’améliorer les conditions muséologiques que nous observons dans le monde. Chaque élève ou diplômé de l’Ecole du Louvre pourra d’ailleurs vous raconter ce qu’il a observé des habitudes de visites des japonais, des espagnols ou des américains… Je vous remercie donc par avance de ne pas prendre ombrage de mes propos, et de voir le bon coté des choses !

Pour revenir aux conditions d’exposition, de nombreux extincteurs sont disposés dans la salle. Dans cette galerie, l’éclairage des tableaux, plutôt réussi, est assuré par des LED qui semblent neufs. Quelques vitrines sont neuves elles aussi.
Par contre, il y a un gros problème de ventilation ; certains des ventilateurs datent à vue de nez des années 1950, beaucoup ne marchent pas, et il fait très chaud.

 Le symbole de la famille royale de Travancore, sur le pignon du palais

Salle d’armes
Un palais indien ne serait pas complet sans la collection d’armes de sa famille royale ; elle n’est pas immense mais de qualité, notamment une belle épée curvilinéaire appelée Vala, ou une série de Cinquedea.
En vis-à-vis, des panneaux explicatifs retracent l’histoire du kalaripayat, l’art martial traditionnel kéralais.

Salle royale
Cette salle expose des vêtements (différentes tenues pour les différentes occasions), du matériel liturgique (encensoir, aiguière…), des éléments de batterie de cuisine, ou encore du matériel de toilette. Sur des panneaux explicatifs sont montrés les régalia des rajas de Cochin.
Après un tour de la salle, je m’interroge sur la cohérence des expôts entre eux. Mon mari me propose comme explication que tous les objets exposés proviennent du palais et sont regroupés ici à ce titre. Certains des éléments de cuisine ont été offerts par des associations locales, et semblent illustrer la vie quotidienne de Cochin.
De belles photos datant d’entre 1880 et 1920 montrent les membres de la famille royale portant les différentes tenues traditionnelles, dont certaines sont exposées. La contextualisation par les photographies rend la visite agréable et didactique.

Salles des peintures murales
Ce sont les deux dernières salles de la visite, avant de revenir à la première galerie, puisque le musée fait une boucle, occupant tout l’étage de ce bâtiment de forme carrée.
Dans la première salle, une magnifique peinture de Visnu en posture royale, une iconographie appelée Thripunithara Appan ; elle est très restaurée, mais dégage beaucoup de puissance. Sur un autre mur, des sinopies témoignent de peintures murales jamais exécutées.

Visnu en posture de délassement royal, du site ssubbanna.sulekha.com , qui présente d'autres photos de peintures murales kéralaises.

La deuxième salle, bien mieux conservée, est recouverte du sol au plafond de magnifiques peintures, complétées par de très beaux linteaux de portes.

Sur Flickr, une belle photo de la peinture murale de Krishna s'amusant avec des bergères.

Liens utiles

* Aussi appelés tuk-tuk, petit taxi sur un moteur de scooter, le moyen de déplacement urbain privilégié en Inde et consorts.

mercredi 6 juin 2012

Fort de Golconde, Hyderabad, Inde


Golconde, Golkonda en télougou dans le texte, dans l’Andhra Pradesh, fut la capitale du royaume de Golkonda (1364-1512), un des cinq sultanats de la plaine du Deccan. En 1590, suite à une terrible sécheresse, les Qutb Shahi, qui règnent sur la région, déplacent la capitale de Golconde à Hyderabad, à 8 kilomètres à l’Est. La ville est définitivement abandonnée en 1687, avec la conquête de l’empereur moghol Aurangzeb, à qui elle avait vaillamment résisté pendant huit mois (et encore, elle ne tomba que suite à une trahison interne).
Son nom de « Fort » est du à ses enceintes successives ; la plus grande mesure une douzaine de kilomètres, et enserre le village moderne que le touriste traverse pour se rendre au monument. Le fort est construit autour d’un promontoire rocheux de 120 mètres de haut, offrant des constructions à flanc de coteau impressionnantes, mais aussi une vue panoramique sur la région environnante.

L’entrée pour touristes est un poil chère, à 100 roupies, contre 5 pour les ressortissants indiens.
La logique de la chose est excellente ; le patrimoine demeure ainsi accessible aux habitants, et tout au long de nos visites en Inde, nous avons été ravis de constater que les Indiens fréquentent assidûment leurs musées et leurs monuments. Et aligner le prix des billets sur les niveaux de vie plus élevés des touristes afin de générer une source de revenus permettant d’entretenir le patrimoine me semble également tout à fait justifié. Cependant, le ratio me paraît énorme, et le service bien minimal pour un tarif aussi élevé (élevé au regard de l’Inde bien sûr, car 100 roupies ça reste très peu converti en euro). D’une part, à ce prix là, on attend de trouver au moins une copie d’un plan et des toilettes en état de fonctionnement (dans un parc de plus de ? mètres carrés, ça paraît légitime). D’autre part, un tarif aussi élevé, nous ne l’avons pour l’instant rencontré qu’à Hyderabad (à part à Hampi où un billet groupé nous a coûté 250 roupies, mais donnait accès à trois monuments majeurs) ; est-ce dû à une prise de conscience des services culturels de la ville de la valeur de leur patrimoine, ou d’une volonté de pouvoir entreprendre des restaurations et assurer leur conservation ? Espérons que ce choix ne soit pas motivé par l’appât du gain.
Pour rester dans les considérations bassement monétaires, pour une fois le droit photographique est gratuit ; en général, il est interdit de prendre des photos, et quand c’est autorisé, il faut payer un ticket par appareil-photo (ou par caméra, et c’est bien plus cher). Ici, prendre des photographies est gratuit, et la vidéographie est à 20 roupies. 


Je me plaignais de l’absence de plan du site ; peut-être est-ce aussi pour encourager les touristes à faire appel aux services d’un guide. A l’entrée du fort, toute une armée de guides assermentés (autorisation suspendue autour du cou) attend d’emmener le touriste, pour des tours d’une demi-heure (version courte) ou une heure et demie (version longue). Après visite, où nous avons flâné pendant trois bonnes heures sans trop y penser, ces visites doivent être très rapides, voire frustrantes ! Comme dans la plupart des sites où les guides proposent leur expertise, une première explication est offerte, devant l’antique plan du site, et on ne les engage que si l’on est satisfait. Etant d’un naturel indépendant, et armés du plan et des explications de notre Lonely Planet, nous nous dirigeâmes à l’assaut du Fort de Golconde sans guide.


 
Dès le début de la visite, une première curiosité réjouit le touriste, de ces anecdotes dont on se rappellera toujours quand on aura oublié le nom du monument en question. Du châtelet qui garde l’entrée du fort (ci-dessus) part tout un réseau de canalisations, dans les murs et les sols du complexe, qui a été étudié et mis en place pour réverbérer les sons dans tout l’ensemble, afin d’être immédiatement averti de l’arrivée d’ennemis ou toute activité suspecte aux portes du fort. Guides et touristes passent donc tous une dizaine de minutes à taper dans leurs mains sous les voûtes, bien que les fameuses canalisations soient effondrées, bouchées, ou cassées, depuis de longues années.

 Vue des décors de la porte d'entrée

Passé ce « châtelet » (le terme n’est peut-être pas approprié, mais je ne suis pas une spécialiste de l’architecture et ça colle plutôt pas mal !), on rentre enfin dans l’enceinte du site pour découvrir toute son ampleur. L’ensemble est immense, très impressionnant, et à perte de vue puisqu’il s’étale sur une colline, et que l’on est à son pied.
Une partie est restaurée, surtout autour de l’entrée : certaines élévations sont vraiment en bon état et laissent entrevoir la splendeur passée, mises en valeur dans de beaux jardins, d’une verdeur peu naturelle sous le soleil de plomb – 44° le jour de notre visite. Cependant, la majorité du site est à l’abandon. On note ça et là et les effets de vieilles campagnes de restauration, les consolidations effectuées (mais pas toujours finies…), mais aussi l’âge de ces travaux. On dirait que seuls les éléments majeurs ont bénéficié d’un réel intérêt (hall d’entrée et bâtiments adjacents, et mosquées) quand le reste était laissé de coté.

 Vue sur la droite quand on entre, exemple d'un des bâtiments restaurés et entretenus

Vue de la colline depuis l'entrée du site 
 
Au départ de l’entrée, je vous dirais bien que plusieurs parcours s’offrent au visiteur, mais ça ne serait pas entièrement vrai. En effet, un chemin dallé, gris et rouge, serpente à partir de là et dans le reste du fort, marquant un itinéraire conseillé ; parfois, il se divise en deux ou trois, pour se reformer plus loin, et propose ainsi divers chemins. Mais en réalité, le visiteur est totalement libre de se promener comme bon lui semble. Dès que l’on s’éloigne de ce serpent gris et rouge, il n’y a plus le moindre chemin, la moindre balise, et on peut explorer le fort exactement comme on le souhaite ; l’escalade est même envisageable. 

 Le fameux "serpent" gris et rouge, et la preuve qu'on ne peut pas forcément lui faire confiance...

Peu d’endroits sont barrés ou fermés ; les seuls que l’on a notés étaient autour de la cour où est installé un spectacle son et lumière, on a donc conclu d’après la disposition des lieux que les salles fermées l’étaient pour protéger le matériel. 

 La zone son et lumière du site ; beaucoup de monuments proposent un spectacle de ce type, ça a apparemment beaucoup de succès auprès du public indien.

Le résultat est assez agréable ; il est plaisant de pouvoir se faire son propre trajet, du coup de manière assez tranquille, puisque le touriste local emprunte peu les chemins de traverse, mais l’ensemble est un minimum fléché pour ne pas trop risquer de se perdre. 

Exemple de "chemin de traverse" évoqué ci-dessus
 
Cependant, il n’y a pas assez de signalétique pour réellement comprendre le site. Le manque de médiation participe-t-il là aussi d’une volonté d’encourager le travail des guides ? Dans ce cas, les touristes non-anglophones (hors tamoul, télougou, et autres langues d’Inde du Sud), sont particulièrement pénalisés.
Le manque de contrôle des visiteurs résulte également en un vandalisme répandu sur tout le site ; partout des gravures et des tags dans les murs, malgré les nombreux panneaux d’interdiction. Il y a trop peu de gardiens pour faire respecter la consigne sur l’ensemble du site ; les seuls que nous ayons croisés étaient proches de l’entrée. 

 La fameuse interdiction...

 et ses nombreuses transgressions. En bas à droite, vous ne rêvez pas, c'est de la fumée ; un tas d'ordures en train de brûler, en plein site.
 
 De nombreux bassins et puits émaillent le site ; tous sont d'une saleté confondante, trahissant un gros problème d'entretien.

Un autre inconvénient de cette « liberté de visite » est dans la sécurité, relativement basse ; on peut penser que certains des vestiges, dont les consolidations sont fort anciennes, et fragilisés par le cycle des moussons et des étés très chauds, sont propices aux éboulements. 

Ca commence à s'écrouler ? Pas de panique, un peu de béton par-ci, un peu de béton par-là, et tout tient de nouveau en place !
 
De plus, de nombreuses zones, en haut de la colline, proposent des points de vue au-dessus d’à-pics sans aucun parapet. Ceci dit, la vue est magnifique. 
 Une grande mosquée (en espérant ne pas vous dire de bêtises, vu le manque de signalétique sur le site, c’est ce que j’ai conclu de l’architecture et des quelques informations que j’ai pu réunir) somme la colline, offrant une vue imprenable sur la plaine, la ville d’Hyderabad, et la nécropole des rois Qutb Shahi, à 1 kilomètre de là. 


 La mosquée du sommet

 Vue depuis le toit-terrasse de la mosquée sur le reste du site en contrebas, et la mégalopole qui s'étend derrière

Juste en dessous de la mosquée abandonnée, un temple à Kali, seul bâtiment du site toujours en activité, et très fréquenté. Sa présence et ses couleurs au milieu de cette ville musulmane désolée résonne comme un pied de nez à l’envahisseur arrivé de l’Ouest il y a plus d’un millénaire.

 Une des peintures à l'entrée du temple

Pour conclure, un site magnifique, et incontournable quand on passe à Hyderabad, et dont l’organisation permet une expérience de visite assez unique et introuvable sur les sites plus policés d’Europe par exemple. Cependant, il est à déplorer le manque de sécurité pour le visiteur, mais aussi pour les monuments, copieusement dégradés par les visiteurs et le manque d’entretien. Le site mériterait une plus ample médiation, pour une meilleure compréhension (et des plans qui auraient moins de 50 ans). 

En bonus, deux photos des belles arcades du Fort, dont on apprécie tellement la fraîcheur par 45 degrés :



Liens utiles :
L'histoire du fort sur Wikipédia, pour aller un peu plus dans le détail

dimanche 27 mai 2012

Eglise Notre-Dame-des-Anges, Pondichéry, Inde




Aussi appelée « Pink Church » en raison de sa peinture extérieure rose et blanche, Notre-Dame des Anges, bâtie entre 1851 et 1855 par Louis Guerre, siège au cœur du quartier français de Pondichéry, en face de la place Jeanne d’Arc.

 
A l’entrée, sur le portail, un panneau signale la présence de la VMF, Vieilles Maisons Françaises, une association française de sauvegarde du patrimoine, que je suis ravie de retrouver si loin de la métropole. L’apparence très neuve de la peinture suggère une église peinte et repeinte ; un choix amusant s’il est fait sous le regard d’une association impliquant une certaine idée de la conservation-restauration. Apparemment, l’aspect particulièrement brillant et lisse de cette façade est due à la recette employée, un mélange de coquille d’œuf et de plâtre. 
Renseignements pris, Les Amis du Patrimoine Pondichérien, association locale de sauvegarde et mise en valeur du patrimoine, ont entrepris sa restauration de septembre 2009 à mars 2011, et VMF ont subventionné une partie des travaux.

En entrant, on découvre un espace très frais en contraste de l’extérieur ensoleillé et écrasé de chaleur, aux teintes pastels, bleues, roses, jaunes, sorte de relecture indienne des couleurs du rococo allemand. 

 
















Les fenêtres ouvertes laissent circuler l’air et entrevoir les branches des frangipaniers en fleurs et le linge qui sèche dans le jardin de l’église. Je soupçonne ce dernier d’être habité, comme la plupart des bouts de jardin présents en ville. Les fenêtres ouvertes laissent aussi entrer les corbeaux, qui discutent dans l’église, l’un sur un ventilateur, l’autre sur une fenêtre, un troisième sur l’autel.

L’église présente un plan en croix latine ce qu’il y a de plus classique, une voûte à caissons en encorbellement, et un dôme surmontant la croisée du transept. Dans ce dernier, de belles stalles en bois. On peut admirer également le sol en marbre de l’église, qui forme un grand échiquier, et peut-être l’élément le plus sobre dans l’édifice.

L’évidence même en se promenant dans cette église, mais c’est en fait le cas dans la plupart des édifices religieux dans ce pays, c’est à quel point la foi est vivante. Les statues sont toutes parées et entourées d’offrandes ; pendant notre balade, un couple d’indiens est venu faire des dévotions devant chaque statue, sur laquelle ils frottaient une enveloppe scellée de résultats médicaux, pour la bénir avant de l’ouvrir. Les ventilateurs et les haut-parleurs confirment la fréquentation de l’église. En me documentant, je découvre un joli fait ; c’est la seule église de la ville où la messe est célébrée, tous les dimanches, en trois langues : tamoul, anglais et français.
 Copie de la Vierge de Velankanni, idole adorée dans le village du même nom, déclaré ville sainte par le Vatican, et très important sanctuaire marial. Cette Notre-Dame est adorée tant par les chrétiens que les hindous et les musulmans. 

Instant de couleurs dans le transept de l'église ; le soleil y joue une grande importance, puisqu'un de ses premiers rayons frappe l'autel chaque matin pour la première messe.

La force de la pratique religieuse et de la foi en Inde posent d’importantes questions aux acteurs de la conservation. A partir de quel moment un objet patrimonial doit-il sortir du culte pour favoriser sa conservation au nom de la perpétuation de la mémoire ? Le priver de sa fonction est-il le bon choix ? Est-il possible de concilier sauvegarde du patrimoine et liturgie vivante ?
Il est surement possible de réfléchir à des moyens de faire cohabiter ces deux valeurs au sein d’un même espace, si tant est qu’existe une volonté locale d’y réfléchir, et de mettre en place des aménagements dans ce but.
Dans ce cas précis, c’est surement la vie du bâtiment, et la continuité d’une tradition religieuse forte, qui ont permis d’intéresser les gens au sort de l’église et de motiver les restaurations.



Liens utiles :
Site des Amis du Patrimoine Pondichérien, avec le détail des restaurations de l'église

vendredi 25 mai 2012

Trésor de la cathédrale, Lyon, France

Ce mini-musée, géré par le Centre des Monuments Nationaux, consiste en une grande salle (peut-être dans les 80 mètres carrés), à belles poutres apparentes, connue sous le nom de "manécanterie" (équivalent de la maîtrise), avec tapisseries sur la moitié de ses murs, vitrines sur l’autre moitié.
Un bureau sert d’accueil, avec deux personnes. L'entrée est gratuite, et se fait par la nef de la cathédrale, à droite quand on entre.

Vue depuis la droite de l'entrée

Les collections exposées, issues du trésor de la cathédrale, sont essentiellement dues aux cardinaux Fesch et  Louis de Bonald. Elles regroupent des objets du IXe au XIXe siècle, dont des tapisseries d'Aubusson, des émaux limousins, des objets liturgiques, ou encore des ivoires byzantins.

Vue depuis le fond de la salle

Une belle série de tapisseries flamandes du XVIIe siècle retrace l’histoire de Jacob. Il y a peu d’explications iconographiques, mais l’installation est correcte, et des petits panneaux expliquent pourquoi ne pas toucher les œuvres. La communication sur la conservation simple et efficace. On les trouve notamment sur de belles chaises XVIIIe (vivent les soyeux de Lyon !). Des sièges sont disponibles pour admirer les tapisseries en toute tranquillité.

 Détail d'une des tapisseries d'Aubusson, que je trouvais particulièrement moderne ; mon mari me signale que la tapisserie est l'ancêtre du pixel art.

Au milieu de la salle, une table-vitrine explique la technique de la broderie en relief et au fil d’or. La prochaine vitrine expose de magnifiques chasubles et étoles illustrant cette technique, assez impressionnante. Les tissus sont exposés sur des mannequins de présentation spécifiques, à la bonne taille, avec une bonne répartition des poids.


L'ensemble est petit mais agréable. Par contre, il y fait très chaud. Du moment qu’il n’y a pas trop de variations de température tout va bien pour les œuvres, mais quand on arrive de la cathédrale, il y a un choc thermique au moins pour le visiteurs. Je ne crois pas que ce soit des vitrines climatiques ; ceci dit, l’ensemble est neuf et moderne, le mobilier d’exposition approprié. Par exemple, de beaux chapiteaux VIe siècle, de l’ancienne cathédrale, sont exposés sur des socles dont la forme évoque une colonne, peints en imitation marbre, mais légère. D’aucuns trouveraient surement ça trop chargés, personnellement je trouve le choix élégant. L’évocation architecturale est là sans en faire trop.


Quant aux vitrines exposant ce qu’on appelle trésor à proprement parler, on trouve de belles pièces liturgiques d’orfèvrerie, du coffret en ivoire byzantin à l’ostensoir doré XIXe, rivalisant de prouesses techniques. Quelques beaux émaux limousins, notamment une belle crosse d’évêque, un très bel autel portatif en améthyste serti fin XVe (ci-dessus). Au mur, quelques portraits XVIIIe de religieux, d’une facture modeste mais agréable à l’œil.


"Icône de style byzantin", années 1870, huile sur bois. 
Le cadre a quelque chose de légèrement steampunk qui m'a plu. 

L'exposition est sympathique, bien agencée, et d'autant plus appréciable que les Trésors ne sont que trop rarement accessibles.

Liens utiles :
Curiosités autour de la cathédrale Saint-Jean, parmi lesquelles le vol du Trésor de la Cathédrale

mercredi 23 mai 2012

Sri Chitra Enclave, Thiruvananthapuram, Inde


L’accès à ce petit pavillon, à l’est du parc, est compris dans le billet d’entrée au Napier Museum. On paie cependant une roupie par paire de chaussures laissée devant le pavillon puisqu’il se visite pieds nus. 

Cette enclave modeste, baigné d’une lumière dorée, et qui doit mesurer dans les 80m2, est dédié à la mémoire du dernier héritier de la famille royale de Travancore, Chithira Thirunal Balarama Varma (1912-1991). Centré sur ce dernier, il évoque également l'histoire de la famille royale qui régna sur le Kérala. Dans l’ensemble, ces souverains ont entretenu ces derniers siècles une tradition de mécénat des arts, de l’éducation, et autres chantiers sociaux qui ont permis au Kérala d’être un des états les plus avancés de l’Inde actuelle (avec quand même son lot de soucis, ce n’est pas non plus idyllique, mais par exemple le taux d'alphabétisation le plus élevé d'Inde). Leur popularité auprès de leurs sujets a atteint un tel point qu’après l’indépendance, le premier gouverneur élu du Kérala n’est autre que… l’héritier de la famille royale. 

Vue du pavillon - on aperçoit par la porte le carrosse cité ci-dessous.

L’exposition consiste, sur les murs, en de grandes peintures naïves datées de 2006, dans un style qui se veut inspiré de la peinture murale traditionnelle kéralaise, légendées de textes bilingues tamoul-anglais. Chaque panneau représente une grande étape de l’histoire de l’état, comme l’arrivée des Portugais, les batailles contre les Hollandais, ou des moments plus intimes de la famille royale.
Au centre de la salle, des vitrines exposent des objets personnels de Sri Chitra, formant un ensemble assez touchant ; vêtements, lunettes, canne, pour le coté plus cérémoniel, mais aussi des croquis au fusain, ou encore un joli livre de contes anglais dont il a colorié les gravures.
Au fond, imposant en contraste avec les petits objets des vitrines, ou le coté « neuf » des peintures murales, est exposé un magnifique carrosse XIXe, doré et mouluré, prévu pour être tiré par six chevaux blancs, pour les parades du maharaja.

L’ensemble, empreint d’un kitsch tout à fait couleur locale, est très didactique, et assez intéressant, pour peu qu’on s’intéresse à l’histoire de la ville et de l’état, et que l’on ait le courage de tout lire.

Liens utiles :
Page d'informations des musées et zoo de Thiruvananthapuram, sur le site officiel du gouvernement kéralais

Napier Museum, Thiruvananthapuram, Inde


Thiruvananthapuram, aussi connue sous son nom colonial de Trivandrum, est la capitale du Kérala, dans le Sud-Ouest de l’Inde. Au nord de la ville, un joli parc abrite un grand jardin zoologique, un musée d’art et ses annexes, et un musée d’histoire naturelle. Les installations et initiatives culturelles sont importantes dans cette ville et dans cet état, qu'elles soient à l'initiative de la famille royale, ou de riches mécènes. Aujourd'hui, intéressons nous au musée d'art de la ville :

Le Napier Museum 

5 roupies par personne, photographie interdite, on entre avec les chaussures (c'est loin d'être toujours le cas en Inde).

Source : Wikimedia Commons

Rien que le bâtiment vaut le coup de se déplacer dans ce musée. Le musée lui-même est fondé en 1855 ; le bâtiment est détruit dans les années 1870 et remplacé par l'actuel édifice. Bâti en 1874 par Robert Chisholm dans un style indo-kéralais, caractérisé par de grands pavillons en bois et chaux, et mâtiné d’historicisme européen, il a donc été conçu pour son rôle de musée.
Au sommet de la colline centrale du parc, il domine l’ensemble de Museum Road, non sans rappeler le coté « temple des arts » des musées européens du XIXe siècle.
Il propose un grand espace muséographique, de plain pied, avec un grand hall, et deux larges couloirs latéraux qui mènent à deux ailes de chaque coté du pavillon central. Des tribunes courent à mi-hauteur des murs, comme des mezzanines, qui semblent abriter les bureaux de la conservation, des bibliothèques, et des objets. Les plafonds en bois peints sont superbes.



Les portes et les fenêtres ouvertes laissent circuler l’air chargé de la mousson, et entrer la lumière du soleil, bien qu’elle ne soit pas forcément dirigée vers les objets, dont les vitrines sont plutôt tournées vers l’intérieur du musée. L’éclairage effectif est assumé par des spots relativement neufs. Des ventilateurs opèrent une ventilation active, bien que comme dans la majorité des musées visités en Inde, la plupart soit extrêmement vétuste, ou plus simplement éteinte ou cassée.
Le mobilier n’est pas de première jeunesse, mais en bon état. Les vitrines sont toutes identiques, en bois et verre, donc pas toujours adaptées à leurs expôts ; c’est ainsi qu’on trouve de tous petits objets, type trois petits bronzes de 10 cm de haut, exposés dans une immense vitrine, assez grande pour accueillir un Nataraja de 1m20 de large. Le fond des vitrines, sur lequel sont posées les œuvres, est pourvu de petits trous réguliers, offrant une aération. Il n’y a aucune trace de contrôle atmosphérique dans les vitrines.
Au centre du hall d’entrée, une grande vitrine, abritant l’épée de Velu Thampi Dhalouva, reproduit le mandapa (pavillon) du temple de Thirunandikkara. La présentation est atypique, et impressionnante. Ce meuble, à la destination première d’être lui-même un expôt, connaît ainsi un recyclage intéressant. Sous l’épée, un gros bécher de gel de silice. C’est la première fois que l’on croise un effort de régulation de l’humidité depuis que l’on parcourt les musées indiens.
Derrière les vitrines, donc en grande partie cachés, les murs supportent des moulages de frises des grands temples de l’Inde du Sud. Je suppose que c’est un reste de la première décoration du musée. Moins poétiques mais plus rassurants, on aperçoit aussi des extincteurs derrières les vitrines, ces dernières étant d’ailleurs fermées à clef. Le minimum de sécurité est donc assuré. De nombreux panneaux « Do not touch » émaillent le musée, mais ne sont absolument pas respectés par les visiteurs, ce qui ne semble pas troubler les gardiens outre mesure.

Les collections sont très éclectiques.

Dans le premier espace, le hall, sont répartis autour de la vitrine-mandapa des bronzes kéralais (et quelques-uns en provenance du Tamil Nadu), du VIIIe au XIXe siècle, représentant les divinités du Panthéon hindou. Les représentations de Siva, surtout en Nataraja, dominent. Les cartels sont bilingues, en tamoul et anglais, et relativement complets : nom, date, lieu, et numéro d’inventaire. Certains vieux cartels sont faits à la main, au correcteur blanc, sur des plaquettes de bois. Aucune médiation n’est cependant proposée, et la plupart des iconographies complexes de l’art hindou restent hermétiques au profane.
Dans cette première section, on retient une très belle statuette de Gajathandava, du XVIIIe siècle, représentant une déesse dansante, le pied sur une tête d’éléphant. Elle se trouve en face de l’entrée, à gauche de la porte donnant sur le jardin.

Aucune indication de parcours n’est donnée, mais nous décidons d’explorer le musée vers la gauche (quand on entre dans le musée). Ce choix s’est avéré logique par la suite, puisque cette aile propose des collections indiennes, en continuité du hall, quand la seconde aile abrite des collections d’Asie du Sud-Est.

Dans le couloir, on trouve les collections d’objets en bois du musée, soient des figures sacrées, du mobilier, et de belles maquettes de temples d’Inde du Sud. L’ensemble est assez didactique, et on sent encore transparaître l’influence du musée XIXe sous la disposition des lieux.
Dans cette seconde section, on note un magnifique Vaisselier royal, au décor baroque assez délirant, ainsi qu’un Char de procession du XVIIe siècle, ancêtre des chars encore en usage aujourd’hui pour les fêtes hindoues, à la masse impressionnante.

L’aile Est, organisée autour du Char cité ci-dessus, abrite de petits objets, là encore perdus dans de grandes vitrines : des ivoires sculptés, classés par iconographie, soit hindoue, soit chrétienne, des statuettes de personnage du Kathakali, le théâtre classique kéralais, du matériel liturgique en bronze. Dans un coin, presque planqués, trois gros fauteuils désignés comme des « Royal chairs ». Certaines vitrines ont le fond cloqué par l’humidité.
Un bon tiers de l’aile est encombré par des vitrines vides, tassées les unes contre les autres. J’en conclus à l’absence de réserves, ou au moins de place pour le matériel non utilisé ; cette hypothèse est confirmée par une série de grosses céramiques chinoises, à vue de nez Qing, qui traînent un peu partout dans le musée, comme cale-portes, barrières devant les escaliers menant aux mezzanines, ou dispositifs de mise à distance.
Dans cette troisième partie du musée, on a beaucoup aimé la délicatesse des statuettes en ivoire, dont une Saraswathi et une Lakshmi, très fines, presque filigranées.

Intéressons nous maintenant à la deuxième aile du musée.

Le couloir qui y mène contient les collections lapidaires du musée, classées en rang d’oignon entre les statues hindoues et les statues bouddhiques. Il y a notamment de belles statues du Gandhara, du début de notre ère, mais dans l’ensemble, ces collections ne sont pas en très bon état.
Passé le lapidaire, la seconde partie du couloir et l’aile Ouest offrent des collections que j’ai envie de qualifier d’ « ethnographiques ». Classées géographiquement, elles proviennent de Java, Bali, Ceylan, ou encore Bornéo. La disposition des vitrines fait penser à l’étalage des résultats d’une mission d’exploration dans les contrées d’Asie du Sud-Est.
On y admire des céramiques et de l’orfèvrerie chinoise, une grande collection de personnages de théâtre d’ombre javanais. Cette dernière ne sera surement plus là dans quelques années, si elle demeure ensevelie sous la poussière, et en pleine lumière. Certaines pièces ont commencé à se déliter. Ces marionnettes sont constituées de bandelettes de papier peintes et perforées, reliées par des attaches métalliques, et actionnées par des bâtons de corne. Les parties métalliques ne peuvent que s’oxyder étant donnée l’humidité du milieu, et rongent le papier, qui finit par casser.
Une très belle collections de masques de théâtre balinais nous observe du mur d’en face. Les objets en plumasserie, en papier, et autres pigments naturels semblent beaucoup souffrir des conditions d’exposition, et sont peu mises en valeur. Dans certaines vitrines, la lumière est même en panne ; on préfère penser aux avantages que cela a sur leur conservation qu’aux inconvénients pour leur présentation. Parmi les dégradations observées, on note des dentelles indonésiennes clouées aux parois des vitrines, avec des clous de tapisserie rouillés.
Enfin, la visite se conclue sur trois vitrines d’instruments de musique, dont un violon qui semble un peu anachronique au milieu des sitars et des tablas. Au centre de la salle, une vitrine-table de numismatique (mon expérience indienne est peut-être encore un peu jeune pour que ce soit une certitude, mais la numismatique semble être plutôt en vogue auprès du public indien). On apprécie l’effort de présentation, puisque les plus petites pièces (entre 8 et 20mm de diamètre) sont présentées avec leurs agrandissements photographiques, qui, s’ils datent sûrement des années 50, ont le mérite d’exister.


            En somme, un musée au cadre magnifique, contenant de très belles collections, mais figé dans le temps, avec un fort besoin de révision des conditions de présentation des œuvres. Malgré de grosses lacunes dans la communication ou la conservation, on retient beaucoup de charme, et une désuétude finalement touchante.