Kaléidoscope de musées et monuments de par le monde, entre muséologie comparée et tourisme iconographique.

mercredi 23 mai 2012

Napier Museum, Thiruvananthapuram, Inde


Thiruvananthapuram, aussi connue sous son nom colonial de Trivandrum, est la capitale du Kérala, dans le Sud-Ouest de l’Inde. Au nord de la ville, un joli parc abrite un grand jardin zoologique, un musée d’art et ses annexes, et un musée d’histoire naturelle. Les installations et initiatives culturelles sont importantes dans cette ville et dans cet état, qu'elles soient à l'initiative de la famille royale, ou de riches mécènes. Aujourd'hui, intéressons nous au musée d'art de la ville :

Le Napier Museum 

5 roupies par personne, photographie interdite, on entre avec les chaussures (c'est loin d'être toujours le cas en Inde).

Source : Wikimedia Commons

Rien que le bâtiment vaut le coup de se déplacer dans ce musée. Le musée lui-même est fondé en 1855 ; le bâtiment est détruit dans les années 1870 et remplacé par l'actuel édifice. Bâti en 1874 par Robert Chisholm dans un style indo-kéralais, caractérisé par de grands pavillons en bois et chaux, et mâtiné d’historicisme européen, il a donc été conçu pour son rôle de musée.
Au sommet de la colline centrale du parc, il domine l’ensemble de Museum Road, non sans rappeler le coté « temple des arts » des musées européens du XIXe siècle.
Il propose un grand espace muséographique, de plain pied, avec un grand hall, et deux larges couloirs latéraux qui mènent à deux ailes de chaque coté du pavillon central. Des tribunes courent à mi-hauteur des murs, comme des mezzanines, qui semblent abriter les bureaux de la conservation, des bibliothèques, et des objets. Les plafonds en bois peints sont superbes.



Les portes et les fenêtres ouvertes laissent circuler l’air chargé de la mousson, et entrer la lumière du soleil, bien qu’elle ne soit pas forcément dirigée vers les objets, dont les vitrines sont plutôt tournées vers l’intérieur du musée. L’éclairage effectif est assumé par des spots relativement neufs. Des ventilateurs opèrent une ventilation active, bien que comme dans la majorité des musées visités en Inde, la plupart soit extrêmement vétuste, ou plus simplement éteinte ou cassée.
Le mobilier n’est pas de première jeunesse, mais en bon état. Les vitrines sont toutes identiques, en bois et verre, donc pas toujours adaptées à leurs expôts ; c’est ainsi qu’on trouve de tous petits objets, type trois petits bronzes de 10 cm de haut, exposés dans une immense vitrine, assez grande pour accueillir un Nataraja de 1m20 de large. Le fond des vitrines, sur lequel sont posées les œuvres, est pourvu de petits trous réguliers, offrant une aération. Il n’y a aucune trace de contrôle atmosphérique dans les vitrines.
Au centre du hall d’entrée, une grande vitrine, abritant l’épée de Velu Thampi Dhalouva, reproduit le mandapa (pavillon) du temple de Thirunandikkara. La présentation est atypique, et impressionnante. Ce meuble, à la destination première d’être lui-même un expôt, connaît ainsi un recyclage intéressant. Sous l’épée, un gros bécher de gel de silice. C’est la première fois que l’on croise un effort de régulation de l’humidité depuis que l’on parcourt les musées indiens.
Derrière les vitrines, donc en grande partie cachés, les murs supportent des moulages de frises des grands temples de l’Inde du Sud. Je suppose que c’est un reste de la première décoration du musée. Moins poétiques mais plus rassurants, on aperçoit aussi des extincteurs derrières les vitrines, ces dernières étant d’ailleurs fermées à clef. Le minimum de sécurité est donc assuré. De nombreux panneaux « Do not touch » émaillent le musée, mais ne sont absolument pas respectés par les visiteurs, ce qui ne semble pas troubler les gardiens outre mesure.

Les collections sont très éclectiques.

Dans le premier espace, le hall, sont répartis autour de la vitrine-mandapa des bronzes kéralais (et quelques-uns en provenance du Tamil Nadu), du VIIIe au XIXe siècle, représentant les divinités du Panthéon hindou. Les représentations de Siva, surtout en Nataraja, dominent. Les cartels sont bilingues, en tamoul et anglais, et relativement complets : nom, date, lieu, et numéro d’inventaire. Certains vieux cartels sont faits à la main, au correcteur blanc, sur des plaquettes de bois. Aucune médiation n’est cependant proposée, et la plupart des iconographies complexes de l’art hindou restent hermétiques au profane.
Dans cette première section, on retient une très belle statuette de Gajathandava, du XVIIIe siècle, représentant une déesse dansante, le pied sur une tête d’éléphant. Elle se trouve en face de l’entrée, à gauche de la porte donnant sur le jardin.

Aucune indication de parcours n’est donnée, mais nous décidons d’explorer le musée vers la gauche (quand on entre dans le musée). Ce choix s’est avéré logique par la suite, puisque cette aile propose des collections indiennes, en continuité du hall, quand la seconde aile abrite des collections d’Asie du Sud-Est.

Dans le couloir, on trouve les collections d’objets en bois du musée, soient des figures sacrées, du mobilier, et de belles maquettes de temples d’Inde du Sud. L’ensemble est assez didactique, et on sent encore transparaître l’influence du musée XIXe sous la disposition des lieux.
Dans cette seconde section, on note un magnifique Vaisselier royal, au décor baroque assez délirant, ainsi qu’un Char de procession du XVIIe siècle, ancêtre des chars encore en usage aujourd’hui pour les fêtes hindoues, à la masse impressionnante.

L’aile Est, organisée autour du Char cité ci-dessus, abrite de petits objets, là encore perdus dans de grandes vitrines : des ivoires sculptés, classés par iconographie, soit hindoue, soit chrétienne, des statuettes de personnage du Kathakali, le théâtre classique kéralais, du matériel liturgique en bronze. Dans un coin, presque planqués, trois gros fauteuils désignés comme des « Royal chairs ». Certaines vitrines ont le fond cloqué par l’humidité.
Un bon tiers de l’aile est encombré par des vitrines vides, tassées les unes contre les autres. J’en conclus à l’absence de réserves, ou au moins de place pour le matériel non utilisé ; cette hypothèse est confirmée par une série de grosses céramiques chinoises, à vue de nez Qing, qui traînent un peu partout dans le musée, comme cale-portes, barrières devant les escaliers menant aux mezzanines, ou dispositifs de mise à distance.
Dans cette troisième partie du musée, on a beaucoup aimé la délicatesse des statuettes en ivoire, dont une Saraswathi et une Lakshmi, très fines, presque filigranées.

Intéressons nous maintenant à la deuxième aile du musée.

Le couloir qui y mène contient les collections lapidaires du musée, classées en rang d’oignon entre les statues hindoues et les statues bouddhiques. Il y a notamment de belles statues du Gandhara, du début de notre ère, mais dans l’ensemble, ces collections ne sont pas en très bon état.
Passé le lapidaire, la seconde partie du couloir et l’aile Ouest offrent des collections que j’ai envie de qualifier d’ « ethnographiques ». Classées géographiquement, elles proviennent de Java, Bali, Ceylan, ou encore Bornéo. La disposition des vitrines fait penser à l’étalage des résultats d’une mission d’exploration dans les contrées d’Asie du Sud-Est.
On y admire des céramiques et de l’orfèvrerie chinoise, une grande collection de personnages de théâtre d’ombre javanais. Cette dernière ne sera surement plus là dans quelques années, si elle demeure ensevelie sous la poussière, et en pleine lumière. Certaines pièces ont commencé à se déliter. Ces marionnettes sont constituées de bandelettes de papier peintes et perforées, reliées par des attaches métalliques, et actionnées par des bâtons de corne. Les parties métalliques ne peuvent que s’oxyder étant donnée l’humidité du milieu, et rongent le papier, qui finit par casser.
Une très belle collections de masques de théâtre balinais nous observe du mur d’en face. Les objets en plumasserie, en papier, et autres pigments naturels semblent beaucoup souffrir des conditions d’exposition, et sont peu mises en valeur. Dans certaines vitrines, la lumière est même en panne ; on préfère penser aux avantages que cela a sur leur conservation qu’aux inconvénients pour leur présentation. Parmi les dégradations observées, on note des dentelles indonésiennes clouées aux parois des vitrines, avec des clous de tapisserie rouillés.
Enfin, la visite se conclue sur trois vitrines d’instruments de musique, dont un violon qui semble un peu anachronique au milieu des sitars et des tablas. Au centre de la salle, une vitrine-table de numismatique (mon expérience indienne est peut-être encore un peu jeune pour que ce soit une certitude, mais la numismatique semble être plutôt en vogue auprès du public indien). On apprécie l’effort de présentation, puisque les plus petites pièces (entre 8 et 20mm de diamètre) sont présentées avec leurs agrandissements photographiques, qui, s’ils datent sûrement des années 50, ont le mérite d’exister.


            En somme, un musée au cadre magnifique, contenant de très belles collections, mais figé dans le temps, avec un fort besoin de révision des conditions de présentation des œuvres. Malgré de grosses lacunes dans la communication ou la conservation, on retient beaucoup de charme, et une désuétude finalement touchante.

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