Kaléidoscope de musées et monuments de par le monde, entre muséologie comparée et tourisme iconographique.

jeudi 10 mai 2012

Musée Goya, Castres, France



Ouvrons le bal avec un joli musée français, le Musée d'Art Hispanique de Castres, aussi appelé Musée Goya. Il est d'ailleurs plus juste de le désigner sous cette première appellation, puisqu'il abrite la deuxième collection d'art espagnol en France, après le Musée du Louvre. Ce deuxième titre, par contre, peut confondre l'amoureux de Goya, convaincu de se lancer dans une exposition quasi-monographique, où il ne verra en fait que trois œuvres du maître.



Le musée est installé dans un ancien palais épiscopal, bâti au XVIIe siècle sur des plans de Jules-Hardouin Mansart, qui dessina également les jardins à la française attenants. Le bâtiment est beau et bien mis en valeur. A l'intérieur, il offre notamment de belles fresques et de beaux plafonds.


On accède au musée par un grand escalier en pierre. Je m'étonne d'y trouver des mégots de cigarette ; cela pourrait témoigner d'un problème d'entretien du musée. En sortant du musée, en fin d'après-midi, je croise un groupe de jeunes installés dans l'escalier du musée ; je tiens mon explication quant aux mégots. Si le seuil du musée est un lieu de réunion, peut-on espérer que le musée devienne un créateur de lien social ? 

En haut de l'escalier, on découvre tout de suite à droite l'espace d'exposition temporaire. Il faut se diriger à gauche pour trouver l'espace d'accueil, la billetterie, et la librairie (quelques livres disposés sur une belle table en marbre du Minervois), pour accéder aux collections permanentes et temporaires. La billetterie est installée dans un joli guichet en boiserie XIXe, et l'accueil est fort sympathique. 
Avant de commencer la visite, un des membres du personnel qui traîne par là, qui nous précise qu’il n’est pas guide sans préciser son poste, nous propose un petit topo : historique du musée, disposition des salles, œuvres majeures. On nous informe que les gravures de Goya ne sont pas visibles en ce moment, car il y a un roulement pour la conservation. On ne peut qu'applaudir à cette initiative ; sauf que sur la billetterie, une note expliquait que ces mêmes œuvres étaient en restauration. Bon, ils n'ont pas accordé leurs violons, mais il est certain qu'on s'occupe de ces gravures, et j'apprécie l'effort de communication ; on trouve si souvent des vitrines vides sans savoir où sont passées les œuvres, ou si peu d'explication quant aux choix de conservation-restauration.

Dans cette première salle, en plus des espaces d'accueil, sont installées quelques œuvres relatives à la création du musée. S'il est fondé en 1840, il connaît un réel développement, et acquiert sa vocation hispanique, avec le legs de l'artiste Marcel Briguiboul en 1894. Sont donc exposées ici un Autoportrait de ce dernier, quelques sculptures de sa main (des petits marbres historicistes). L'ambiance "Salon XIXe" est complétée par la présence de quelques arts décoratifs (mobilier, lampes). 

Autoportrait au haut de forme et à la pipe, Marcel Briguiboul, 1861
(source : Wikimedia Commons)

 Je comprends moins bien la présence, sur le mur le plus long de la salle, des frises de Velez Blanco, représentant Les triomphes des César, vers 1505-1520. Ces bas-reliefs sont une relecture Renaissance des épopées sculptées romaines du type de la Colonne Trajanne. Très simplement installés sur des gradins blancs, ils ne sont protégés par aucun dispositif de mise à distance. Je m'étonne à la fois de leur présence, qui donne un petit coté bric-à-brac à la pièce, et des conditions d'exposition. Après visite du musée, je me rends compte qu'il n'y a pas vraiment d'autre endroit où les exposer que ce soit en terme d'espace ou de cohérence.

Première salle : Antiquités ibériques et Primitifs espagnols. De très beaux tableaux, qui semblent avoir eu droit à une restauration de qualité.

Le mobilier muséographique semble arriver des années 60-70, mais est en bon état, et remplit bien son office. On observe dans la salle des déshumidificateurs ; ils ne sont pas réglés de manière centrale mais ponctuelle. L’éclairage n’est pas évident, comme dans toute exposition de peintures. Les cartels sont soit absents, soit pas évidents par rapport à l’œuvre, en tout cas dans cette salle.Aucune source de lumière naturelle directe (des stores par exemple bouchent les fenêtres) ne vient toucher les expôts. 

Deuxième salle : Mobilier et peinture XVIe siècle.
Sous les fenêtres sont encore présentes des vieilles armoires, très belles, surmontées de vitrine-tables dans lesquelles sont disposées quelques œuvres à plat. Est-ce par manque de place, ou de mobilier adapté, ou par réel choix ? Peut-il s'agir d'un choix de conservation ? On trouve dans l’une des deux, une nature morte XIXe, La côtelette, un petit Géricault, Une écurie et un masque espagnol XVIe en bois (dépôt de Cluny). 

De là, on descend dans la troisième salle :
Tout au fond, on aperçoit le plus grand des trois Goya, L'assemblée de la compagnie royale des Philippines
(source : Wikimédia Commons)

 Troisième salle : Salle du Siècle d'Or. 
Cette galerie propose des œuvres du XVIIe siècle espagnol, peintures et sculptures. 
On y est d'abord accueillis par une vitrine technique sur la peinture et la composition, avec un fac-similé du traité de Pacheco. C'est un choix judicieux ; il arrive d'entendre dans les expositions de peinture des gens s'interroger sur les techniques, ou d'autres ne pas se rendre compte de la complexité de la chose. Tout comme j'apprécie la communication sur la conservation ou la restauration des œuvres, je trouve trop rare la communication sur la technique.
Dans certaines salles, dont celle-ci, je remarque des caméras de sécurité. En plus de renforcer la sécurité des œuvres en général, elles permettent de n’avoir aucun gardien, ce qui peut être agréable lors de la visite. Chers gardiens, je n'ai rien contre vous, mais certaines visites peuvent être gâchées par la mauvaise humeur de vos collègues les moins sympathiques. Deuxième condition remplie pour une visite agréable (serais-je misanthrope ?) : il y a peu de visiteurs. 
Je n’ai pas noté de vitres de protection devant les tableaux, mais les traditionnels cordons de mise à distance sont présents. 

Vue de la salle du Siècle d'or
 (source : Wikimedia Commons)

Dans les œuvres, on note beaucoup de dépôts du Louvre (Philippe IV en pied en chasseur de Velázquez), ou encore de Cluny et d’Ecouen (très belles statues religieuses polychromes XVIIe). Les caravagesques espagnols sont bien représentés. Parmi les perles du musée, deux beaux Zurbaran, Le Portrait d'Alvar Belásquez de Lara, et Le martyr chartreux, 1636, ci-dessous :

(Source : Base Joconde)

Quatrième salle : Salle Cano et Murillo.
Cette petite pièce contient trois tableaux de Alonso Cano, et la belle Vierge au chapelet de Murillo. 
J'y remarque que des anciens puits de lumières zénithaux ont été bouchés. C'est le cas dans toutes les salles où il y en avait.

Cinquième salle : Salle Goya - XIXe siècle.
Le titre du musée étant ce qu'il est, et le grand Goya ayant été ce qu'il fut, cette salle se veut l'apothéose du musée. C'est logique, on part au musée Goya en se disant "chouette, je vais voir des Goya". Ils sont au nombre de trois : un Autoportrait aux lunettes, vers 1800, le Portrait de Francisco del Mazo, vers 1815, et la grande machine (4m60 sur 3m50 - le plus grand tableau du musée) qu'est L'Assemblée de la Compagnie Royale des Philippines dite La Junte des Philippines, vers 1815 :

 (Source : Base Joconde)

Cette dernière trône au fond de la salle, dans un espace fermé spécialement pour elle ; le visiteur est tenu à distance, mais c'est un tableau qu'il vaut mieux regarder de loin. Des sièges au milieu de la salle permettent de s'asseoir pour l'admirer à loisir. Des haut-parleurs sont accrochés dans la salle notamment au-dessus du tableau ; je me demande à quelle fin. Derrière le renfoncement avec cordon qui délimite l'espace de La junte, le panneau de contrôle du matériel hi-fi ; à portée de main pour le visiteur aux mains baladeuses.
Je ne suis pas très fan de la scénographie déployée ici. Les murs sont couverts d'une tapisserie beige un peu vieillotte ; je trouve que la moquette sur les murs donne vite une impression poussiéreuse dans un musée. 
Sur le mur du coté (gauche en entrant dans la salle), la cimaise centrale expose les deux autres Goya, entourés de portraits de la même époque. Notre charmant comité d'accueil au musée nous avait vanté les mérites d'un de ces portraits, celui de Madame de Scott par Federico de Madrazo y Kuntz


 Pour le coup, je ne suis pas déçue, bien au contraire. La dame dégage une grande douceur, quelque chose de beau et nostalgique, de serein. Techniquement, c'est superbe. Beau comme du Ingres, l'âme en plus.
Dans le reste de la salle, des scènes de genre et des paysages de la même époque, notamment des Lucas Velázquez.

Sixième salle : XXe siècle. 
La salle tranche avec les précédentes, puisque les cloisons cachent le bâti du palais XVIIe à nos yeux. C'est très blanc, et surtout éclairé de néons tremblotants affreux ; je ne reste pas longtemps dans la salle tellement c'est désagréable. Les collections sont modestes, mais proposent quelques belles choses. Parmi les Joconde du musée, un Buste d'homme écrivant de Picasso daté de 1971.
J'apprécie la belle sculpture Aurore de Jaime Otero, qui me rappelle le style de Letourneur. En face est exposé un José Clara dans le même goût. 

La visite n’est pas une boucle, il faut revenir sur ses pas jusqu’à l’accueil pour les deux dernières salles. 

Septième salle : Salle Briguiboul.
Cette salle expose des œuvres de celui sans qui le musée ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. On trouve dans ses peintures l'histoire de la peinture de la seconde moitié du XIXe, entre orientalisme, impressionnisme et scènes de genre. Au milieu, une vitrine abrite des céramiques à lustre métallique espagnoles.

Huitième salle :  Cabinet d'armes.

(Source : Wikimedia Commons) 

La présentation en accumulation, du sol au plafond, les vitrines bien pleines, rappelle l'ambiance d'un cabinet privé. Sur la droite en entrant, quelques affiches en lien avec les guerres françaises du XIXe et XXe siècles (telle qu'une proclamation de Charles X), et des curiosités dans le thème des "militaria" (une bannière d'Indochine par exemple).
Les vitrines dévolues à la Seconde Guerre Mondiale contiennent notamment des armes ayant appartenu aux SS, frappées de l'aigle germanique ou de la croix gammée. Une petite notice explique que leur présence ici est à but didactique et historique, sans intention de choquer ; elle est mieux écrite que le résumé que j'en propose, et je salue là aussi un effort de communication judicieux. Il est plus intéressant de montrer ces objets que de les cacher.
Dans la deuxième vitrine sur le même thème, des objets atypiques, comme une lettre manuscrite de De Gaulle, ou un billet déchiré accompagné, d’un mot écrit par un ancien résistant expliquant son usage pour se retrouver entre informateurs, chacun possédant une partie du billet.

Voilà pour les collections permanentes du musée Goya. J'ai fait un tour dans l'exposition temporaire, mais pressée par le temps je n'ai pas noté le nom du graveur qui était exposé... honte à moi. J'ai cependant noté que l'espace était neuf, bien agencé, les éclairages et les cimaises modulables, permettant de réaliser de belles expositions temporaires. L'artiste exposé étant un graveur, étaient installées des notices techniques, et quelques matrices en cuivre. Là encore, une médiation sur le thème technique qui me touche.
 En conclusion, j'ai aimé le Musée Goya. De si belles collections espagnoles en France sont assez rare pour être appréciées, le bâtiment vaut le coup d'oeil, et on y observe de très belles pièces. Si la scénographie est un peu passée par endroit, on se consolera en se perdant dans la contemplation des yeux de Madame de Scott, avant d'aller flâner dans la vieille ville de Castres sur les bords de l'Agout.

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